Il est à ce moment 4h50 minutes en ce dimanche 12 janvier 2020, me voici au fond d’un trou noir en train de contempler la ville de Port-au-Prince. 10 ans après, je vide mon dernier verre de soro avant de pousser mon premier cri d’alerte à ces malheureux bien heureux qui sont partis avant moi.
À vous qui êtes partis bien heureusement plutôt, je tiens vraiment à vous faire la description de notre chère Haïti, 10 ans après votre départ imprévu.
Je n’ai aucunement l’intention de troubler votre paix, déjà je pense que vous êtes bien mieux ailleurs. Mieux que si vous seriez encore dans ce monde des mortels. Néanmoins je tiens à vous décrire mon pays. Depuis que vous êtes partis par ce drame infernal, la vie en Haïti est devenue inhumaine. Si je devrais être auprès de vous je dirais que la pénitence serait douce, mais là où je suis maintenant, c’est malheur qui vient ensuite. Je ne tiens pas à conjurer ma venue sur terre mais vivre sans survivre en Haïti est devenue mon ultime punition.
J’ai survécu dans ce grand trou noir pour ensuite revivre une sombre lumière d’espoir. Je défie depuis ce jour mon destin.
Mes frères, les murs de mon avenir sont escarpés par ceux qui devraient me le rendre meilleur. C’est violent ce que je dois décrire, mais c’est réel
Au lendemain de cet effondrement de 7,3 de magnitude, on a pu compter en 52 secondes de tremblement de terre plus de 300 mille morts, près de 54 hôpitaux endommagés, des écoles, les bâtiments publics et privés. Même le Palais National logeant le Président de la République n’a pas été épargné par cette catastrophe.
Port-au-Prince sentait la mort et les cris des personnes agonisées sous les décombres retentissaient. Cette image terrifiante qu’offrait le pays était encore plus choquante pour ceux qui étaient en vie que vous étant partis. Malgré tout on espérait que Dieu fasse un miracle et que cette catastrophe nous sert de repère pour bâtir un autre pays. C’était le moment crucial pour le peuple de prendre son destin en main.
Où sommes-nous maintenant ? Pourquoi ai-je attendu 10 ans pour faire ce bilan?
Nous voilà! 10 ans après que le séisme ait cicatrisé la Nation haïtienne, nous voilà encore sous auspice de l’enfer à contempler le mal du diable. Nous sommes ici là où nous étions à évoquer les mêmes maux de ce peuple. Rien de meilleur ne s’est produit pour ceux qui espéraient un futur après ce drame fatal. Entre temps, les milliards de dollars collectés pour la réparation des dégâts sont décomptés par nos autorités avares.
Le pays est plongé dans une crise sociale, économique, politique. Les gangs armés font la loi, les tirs cantonnent quotidiennement. La faim continue à tuer nos enfants, nos familles. La corruption est contestée par une grande partie de la société civile, le parlement est dysfonctionnel, le pays est sous la voie d’une gouvernance par décret. Les gens meurent quotidiennement sous le regard indifférent de nos représentants, les hôpitaux fonctionnent au ralenti, les écoles ne fonctionnent presque plus.
Dix ans plus tard, l’amertume est grande, on a plus de repère, nous voilà de 12 janvier 2010 à 12 janvier 2020 sous les décombres du désespoir.
Lamaria