Aujourd’hui on se retrouve dans un contexte particulier en Haïti où tout est influencé par les dérives politiques et le traditionnel carnaval haïtien n’en a pas été épargné. La Mairie de Port-au-Prince ainsi que beaucoup d’autres ont pris l’initiative d’annuler le déroulement des festivités carnavalesques pour l’année 2019, à cause des tensions qui ont bouleversé les activités durant le début du mois de février. On peut aussi considérer que de telles décisions ne resteraient sans conséquences. Alors, dans les analyses qui suivent, nous allons d’une part remonter aux origines du carnaval pour comprendre son importance dans le folklore haïtien et d’autre part, nous allons étaler son importance en Haïti, tant sur le plan socioculturel, économique et politique.
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Les origines du Carnaval et son introduction en Haïti
Le concept « carnaval » tire son origine du latin médiéval carnelevare qui signifie « retirer la viande ». Généralement c’est une période de festivités païennes en Europe puis en Amérique, où les habitants de la ville où il est organisé se déguisent et se retrouvent dans les rues pour chanter, danser, défiler et s’amuser.
De manière traditionnelle, les activités carnavalesques sont calquées sur le calendrier chrétien et se déroulent entre l’Épiphanie, soit le 6 janvier, et le Mardi gras, entre le 3 février et le 9 mars.
La date précise de l’introduction du carnaval en Haïti n’est pas archivée, mais selon certaines hypothèses, cette tradition serait importée en Amérique par la colonisation espagnole au XVIe siècle. Petit à petit, le carnaval sera adopté par les Gouvernements haïtiens qui au fil du temps en feront une fête nationale.
Au fait, en Haïti, le carnaval est l’une des fêtes les plus attendues. Autrement dit, il est une tradition qui, chaque année, attire de plus en plus de monde (haïtiens ou étrangers). Ainsi, nombreux sont ceux et celles qui utilisent ce moment pour vaquer à des activités économiques tant pour le secteur formel que pour le secteur informel.
C’est le moment où les meringues s’entrecroisent. De ce fait, à maintes reprises, les Gouvernements ou bien le comité chargé d’organiser cet événement ont été dans la difficulté pour sélectionner les meilleurs textes et les meilleurs clips dans chaque tendance.
Dans les lignes subséquentes, nous ferons le point autour de ce triptyque économique, politique et socioculturel que représente le carnaval annuel en Haïti.
1 – Aspect socioculturel du carnaval
Le carnaval haïtien est l’expression de la manifestation des différents facteurs constituant la culture haïtienne. En effet, le « carnavalier » est impatient de retrouver ce rendez-vous annuel. A ce titre, le carnaval est le moment de la détente collective, de rencontre et de partage. En termes plus clairs, c’est le moment de défoulement d’une grande partie de la population haïtienne, surtout dans un contexte où il n’y a ni cinémas, ni parcs d’attraction dans le pays et où les lieux de loisirs décents se font de plus en plus rares. En ce sens, cette activité culturelle est pour beaucoup le moment de se débarrasser des problèmes quotidiens.
Ensuite, au niveau des décors, notamment des déguisements, le carnaval met en valeur l’artisanat, la sculpture, l’art, la peinture, la cuisine, l’architecture, la musique pour ne citer que ceux-là. Tout cela pour offrir le plein plaisir aux participants (haïtiens et étrangers).
Le plus intéressant dans l’aspect culturel du carnaval c’est le défilé marqué par la déambulation du « cortège carnavalesque » et des chars tout au long du parcours prédéfini avez les compositions les unes plus jolies que les autres.
Donc, l’aspect culturel joue sa partition dans le carnaval annuel en Haïti.
2 – Aspect économique du carnaval en Haïti
Le carnaval, dans un contexte économique, est un important générateur de revenus en Haïti. Par exemple, pour l’année 2015, on a dénombré 21 stands pour une somme de 168.000 USD pour les trois jours, à raison de 8.000 USD par stand. Sans compter qu’avec la construction des stands ainsi que leur entretien, les responsables ont fait appel à des ressources humaines et ont créé des emplois. Les marchands de bois, de clous et de matériaux de construction, les propriétaires de quincaillerie, les menuisiers sont autant de personnes qui bénéficient de la construction de ces stands.
De plus, le carnaval est un vecteur important pour le secteur touristique. Lors du carnaval annuel, le nombre de visiteurs grossit considérablement. Par exemple en 2012, plus de 50.000 entrées en Haïti dont des billets vendus à 500 USD, ce qui a accumulé une recette approximative de 25 millions de dollars. Durant cette période, les hôtels et les restaurants se remplissent ; les vendeurs d’eau, de bières, de boissons de toutes sortes et de produits alimentaires font leurs affaires. En gros, en 2012 l’industrie hôtelière avait généré un chiffre d’affaire journalier estimé à 320.000 USD, selon un article publié sur Haitilibre.com.
On peut aussi considérer le nombre « d’emplois à temps partiel » créés durant la période, sans compter l’élan que prennent les petites entreprises ainsi que les petits commerçants tels que les marchands de soda, de nourriture de toutes sortes, etc.
Donc, la réalisation du carnaval revêt une portée économique importante en Haïti.
3 – Aspect politique du carnaval
Le carnaval affiche un aspect politique notamment à travers les textes engagés. En d’autres termes, le carnaval est le moment où les meringues dénoncent et/ou critiquent les actions des autorités. En effet, il est l’espace où les musiciens font passer leurs frustrations et certains messages politiques. C’est le cas de certains groupes comme « Sweet Micky« qui se maintenait en opposant farouche du régime « Lavalas« et de « Brothers Posse« , qui en 2013, à travers son texte « Aloral » a provoqué de vives réactions dans la société haïtienne, particulièrement au sein de l’Exécutif, ce qui lui a empêché de participer au défilé carnavalesque jusqu’à 2015 quand on lui a offert un char qu’il avait refusé.
Sur le plan politique, le carnaval est aussi un espace où les acteurs (autorités et musiciens) font passer leur doctrine. En termes plus simples, c’est un espace de propagande. Par exemple, considérons le choix des thèmes « se la pouw la » (Carnaval des fleurs 2012), « Bay Ayiti yon chans » ou « Nou tout se Ayiti » (Carnaval 2015).
De plus, il y a un élément fondamental qu’il faut remarquer dans l’aspect politique du carnaval, c’est ce qu’on pourrait qualifier de « trêve politique », car bien que les thèmes et les meringues soient polémiques, mais on peut aussi constater que la tension politique s’apaise un peu durant les festivités : pas de manifestations, pas de grèves…
Donc, la politique aussi bien que l’économie joue sa partition dans le carnaval annuel en Haïti.
Vu notre compréhension des différents aspects de la question, l’on peut dire que le triptyque économique, politique et socioculturel serait le fondement même du carnaval annuel en Haïti.
Ainsi, puisque le carnaval annuel est un événement qui est très prisé car il est générateur de revenus dans l’économie haïtienne ; puisque le carnaval révèle un caractère politique dans la mesure où celui-ci engage les autorités et s’avère un espace de communication politique ; puisque le carnaval est un événement culturel à grande échelle car il met en valeur l’artisanat, la sculpture, l’art, la peinture, la cuisine, l’architecture, la musique ; en conséquence, on peut présumer que son annulation affiche aussi un impact sur les trois aspects sus-cités, mais surtout sur l’aspect économique. Et on peut aussi comprendre par là l’impact de la politique sur l’annulation du carnaval, car avant tout, ce sont les dérives politiques qui ont provoqué cette situation et c’est une décision politique qui a annulé le carnaval.
C’est ce que les grands théoriciens et politologues appellent une approche maximaliste de la politique, car en Haïti, tout est politique et la politique englobe et engloutit tous les autres aspects de la vie nationale.
L’Archange,
Avec la contribution de Jean Jocelyn Petit et Phillerque Hyppolite