«Dans ce pays, la haine politique est la force la plus efficace » Prof. L. F. Manigat.
De cette assertion, le professeur Manigat a voulu exprimer son amertume totale face à la crise post-Duvalier, le massacre de la ruelle Vaillant orchestré par l’armée, son élection comme Président, son coup d’État après quelques mois et les différentes positions des acteurs politiques de l’époque sur son arrivée au pouvoir dont la figure la plus emblématique, à savoir Me Gérard Gourgue qui, lui, a été victime d’un complot du Département d’État des États-Unis, de concert avec les « à tout faire » des Forces Armées d’Haïti (FAD’H) afin de vassaliser les élections de novembre 1987 sous prétexte qu’on ne voulait pas d’un socialiste à la tête du pays. Dix-neuf personnes ont été tuées ce jour-ci, pour avoir commis le seul crime d’être munies d’un bulletin de vote, désirant orienter le pays sur la voie d’un État de droit après vingt-neuf ans de dictature féroce. Nous sommes à l’aube de la chute du mur de Berlin. À l’aube de la fin de l’histoire aurait dit Fukuyama.
Du slogan «makout pa ladan’l» en passant par plusieurs coups d’état, tels ceux de 1988, 1991, 2004, de la période de transition (2004-2006) jusqu’aux élections contestées de 2016, le pays ne cesse de connaître de troubles socio-politiques. Le peuple, fatigué de demander à chaque fois un minimum de bien-être que bien souvent, certaines gens mésinterprètent à tort ou à dessein en disant que «bouch ki finn di viv se li menm k ap rele aba.»
Pardonnez-moi !
Si le peuple vous acclame aujourd’hui, c’est tout simplement, en dépit des dégoûts, des mauvaises gestions politiques, il espère vivre mieux. Et s’il vous pourchasse demain c’est que, encore pris par derrière, il utilise ce qui lui reste de force pour dire non à la cherté de la vie, à l’insécurité, au chômage, aux mauvaises gestions des ressources de l’État. Le mal ne vient pas d’en-bas mais d’en-haut.
Lancé par le jeune cinéaste Montréalais d’origine haïtienne, Gilbert Mirambeau, le 14 août 2018 sur les réseaux sociaux et vulgarisé par le rappeur-engagé Klib mapou, le mouvement #PetroCaribeChallenge a vu son ampleur. Dix jours plus tard, soit le 24 août 2018, un ensemble de personnes se sont entendues pour lancer le premier sit-in de ce mouvement social devant les locaux de la Cour des Comptes et du Contentieux Administratif à Port-au-Prince.
Méfiante de toute participation des acteur-ices politiques traditionnel-les, les initiateurs du mouvement ont chahuté ce jour-là plusieurs leaders de partis politiques. Beaucoup se sentant concernés, ont embrassé avec impétuosité la question afin de demander à la Cour des Comptes, cette juridiction administrative qui a pour mission de faire des audits sur toutes les dépenses de l’État, d’effectuer la reddition des comptes. De grands rassemblements populaires ont été réalisés : 17 octobre 2018, 18 novembre 2018, 7 février 2019, la question n’avait guère changé.
À partir des deux rapports publiés par la Cour, le mouvement a subi un tournant vertigineux. Plus besoin de poser la question : #Kot kòb PetroCaribe a ? Des pistes ont été fournies et les revendications passent maintenant par l’arrestation des dilapidateurs (toutes catégories confondues) et la restitution des fonds, c’est-à-dire que le procès doit avoir lieu.
Selon certains, la réalisation de ce procès doit passer irrémédiablement par la démission du Président de la République. Indexé par la Cour, il a été accusé d’être au cœur même d’une stratégie de détournements de fonds. De ce fait, nombreux ont été ceux qui se sont donné rendez-vous le dimanche 9 juin dans les rues pour exiger du Président de la République sa démission et de se mettre disponible afin de répondre aux interrogations de la justice. Néanmoins, deux forces s’affrontent et s’allient sur le terrain : l’une, s’inscrivant dans une démarche de vengeance politique et l’autre de lutte citoyenne.
- Vengeance politique
Les partisan-es ou proches du pouvoir lavalassien, conscient-es de l’échec de leur leader (deux mandats non-consommés) s’acharnent contre ceux et celles qui occupent de hautes fonctions depuis tantôt sept ans dans le régime décrié PHTKistes, qui furent, soit des anciens zélé-es du parti Lavalass (Rudy Hériveaux) ou du moins des anciens putschistes qui ont contribué aux deux coups d’État de leur Président (J.M. Martelly).
D’ailleurs, si l’on considère les gabegies administratives du pouvoir lavalassien : le dossier des Coopératives, celui de TELECO, les cas d’assassinat politique (Jean Dominique, Mireille Durocher Bertin…), la montée flagrante de l’insécurité (les chimères) pour ne feuilleter que ces pages de cette triste histoire, nous serions en droit de dire que l’oiseau a changé de plumage tout en conservant le même ramage. C’est la politique du « ôte-toi de là que je m’y mette » qui les fait gagner les rues. Ils désirent, comme tout enfant détaché du sein maternel l’aurait fait, retourner à la mamelle du trésor public.
C’est leur vœu. Comme « baton ki ba t chen nwa a se li ki bat chen blan an », ils pensent pouvoir se servir du gros peuple pour capituler le pouvoir en place afin de réinstaurer leur règne. D’ailleurs, dans leur proposition de sortie de crise (malgré le conflit entre Lavalas et l’opposition dite institutionnelle), ils souhaitent que le Premier ministre du pouvoir de transition soit l’un des leurs. Qu’il provienne de l’opposition active. Active! Comme s’il ne suffisait pas de diviser mais, ils veulent régner.
Enlisés par le désir funeste de régner, ils ne savent pas que l’option « tabula rasa » est le choix d’une grande ppartie de la population.
- Lutte citoyenne
«Ce n’est pas une chasse aux sorcières que demander des comptes et des explications. C’est un devoir citoyen! L’avenir dépend de la volonté des citoyens de faire leurs devoirs.» Claude Moïse Célestin
Comme dit ci-haut, lancé par Mirambeau, en un rien de temps l’opinion publique, majoritairement des jeunes, a embrassé le mouvement et se sent de plus en plus concerner. Concerner de leur avenir dans le pays le plus pauvre de l’Amérique où ils demandent lumière sur les 4.2 milliards du fonds PetroCaribe alloués au développement du pays.
De 2008 à 2016, 4 milliards ont été dépensés dans le pays. Consciente de l’effectivité du même fonds dans d’autres pays de la région et indignée de la cupidité de nos dirigeant-es, l’exigence populaire se tourne autour de l’arrestation des dilapidateurs et la restitution des fonds, la démission du chef de l’État et sa disponibilité pour la justice, la dissolution du Parlement qui est une honte pour la démocratie, qui ne fait qu’un seul socle avec l’Exécutif et l’épurement du système judiciaire, embaumé par de corrompus.
Cette lutte n’agrège aucune structure politique traditionnelle. La jeunesse se met en garde cette fois-ci. La politique du « chwal finn travay pou bourik galonnen » s’estompe au cri de la population. «Se kòz ki makonnen moun».
Ce réveil politique n’a été que le fruit d’une conscience collective, une conscience pour la défense d’une cause juste et commune. Si autant de gens se donnent rendez-vous dans les rues c’est parce qu’ils comprennent que ceux et celles qui occupent la sphère politique actuelle ne sont guère en odeur de sainteté et que de ce mouvement social, une autre classe politique doit émerger afin de réorienter le navire. Si, pour finir, les nombreuses luttes de libération menées par la jeunesse haïtienne, de 1947, pour ne remonter plus haut en passant par 1957, 1986, 1987, 1990, 2004 ont été détournées par des avatars politiques dans leurs intérêts personnels, cette fois-c, les revendicateur sont dans l’obligation de rester sur leurs gardes et tirer du passé des leçons afin d’offrir à ce pays un avenir digne.
Guerlin MEDY
Sources:
Arnold Antonin, Gérard Gourgue, l’homme par qui le cours de l’histoire aurait pu changer, 2012.
Rigaud Kervens, Le parlement haïtien, une honte pour la Démocratie en Haïti.
https://www.intexto.ca/petrocaribe-la-question-qui-depasse-gilbert-mirambeau/
http://googleweblight.com/i?u=http://www.cscca.gouv.ht/&grqid=a5VVDlEi&s=1&hl=ht-HT
http://ile-en-ile.org/mireille-nicolas-haiti-dun-coup-detat-a-lautre/ mis en ligne : 13 décembre 2011 ; mis à jour : 28 avril 2017
https://www.banquemondiale.org/fr/country/haiti/
https://lenouvelliste.com/article/174851/des-suites-au-rapport-de-lucref-incriminant-jovenel-moise