L’affaire opposant Guerda Saintil à Me Arnel Rémy éclate aujourd’hui comme un révélateur des dérives d’un système judiciaire à deux vitesses, où la notoriété semble peser plus lourd que la vérité. Depuis que cette jeune femme, issue d’une famille modeste de Fontamara 43, a accusé l’avocat réputé de viol et rendu publics des messages WhatsApp et des enregistrements sonores qu’elle présente comme preuves, un silence assourdissant s’est abattu sur les institutions censées défendre la justice, la dignité et les femmes.
Où sont les voix du Barreau de Port-au-Prince ? Où sont les organisations féministes, si promptes à dénoncer les violences quand elles ne concernent pas des figures influentes ? Comment comprendre que le nom d’un avocat aussi médiatisé puisse suffire à étouffer une dénonciation aussi grave ? Guerda Saintil, dans sa détresse, ne demande pas vengeance : elle réclame simplement que la justice fasse son travail, que son cri soit entendu.
Pendant ce temps, Me Arnel Rémy, profitant de son statut et de ses réseaux, se place en position de force dans les médias, publiant des messages censés l’innocenter et accuser la victime de chantage. Il parle de “tentative de manipulation”, de “fausses accusations”, et présente des extraits de conversations censés prouver sa bonne foi. Mais qui enquête sur l’origine de ses messages ? Qui authentifie prétendues preuves ? Et surtout, pourquoi aucune instance judiciaire n’a encore convoqué l’avocat pour l’entendre ?
Le Barreau de Port-au-Prince, garant de la déontologie et de l’honneur de la profession, peut-il rester muet face à une accusation de viol visant l’un de ses membres ? En laissant planer le doute, cette institution prestigieuse risque de trahir sa mission : protéger le public, défendre les principes de justice et non les privilèges de caste.
Il est temps aussi que les grandes organisations de défense des droits humains se positionnent clairement. La SOFA, le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), la Fondasyon Je Klere (FJKL), et même le Ministère à la Condition féminine et aux Droits des femmes (MCFDF), ne peuvent pas se contenter d’un mutisme prudent. Leur silence équivaut à une complicité tacite. Elles ont le devoir moral et civique de demander une enquête indépendante, impartiale et transparente sur cette affaire qui dépasse le cadre personnel pour devenir une question de principe : la protection des femmes contre toute forme d’abus, même quand le présumé agresseur porte la robe d’avocat.
Cette affaire n’est pas seulement celle d’une femme contre un avocat. C’est celle d’un pays face à sa conscience. Si Guerda Saintil était issue d’une famille aisée, aurait-elle obtenu plus d’écoute ? Si son agresseur présumé n’avait pas porté la robe noire, aurait-il déjà été arrêté ? Ces questions dérangent, mais elles disent tout du déséquilibre qui mine notre système.
Il est temps que la justice haïtienne sorte de sa torpeur. Qu’elle entende la voix des sans-pouvoir. Que les organisations féministes et les défenseurs des droits humains cessent de se taire quand l’accusé appartient à l’élite. Car le silence, dans ce cas, ne protège pas la vérité : il la viole une seconde fois.
Marie-Judithe M. Denis
