Cet article traite les aspects fondamentaux de la mutation sectorielle au sein de notre économie, passant du secteur primaire/ secondaire au secteur tertiaire en analysant les statistiques de 1980 à 2018, depuis l’application des programmes d’ajustement structurel dans le pays (1995-1996) à aujourd’hui au regard des théories scientifiques liées à son contexte.
Depuis l’accélération du Programme d’Ajustement Structurel (PAS) orchestré par le FMI et la Banque Mondiale(IDA), au début des années 90, le pays a adopté des changements financiers et économiques profonds axés sur la privatisation de certaines entreprises publiques et des activités économiques, par la libéralisation des marchés, le libre-échange , qui conduit à la baisse des droits de douane de 35% à 3% (source: www.papda.org) provoquant la décapitalisation de petits paysans et des investisseurs agricoles ; Un pays qui était autosuffisant en 1980 devenu importateur de riz depuis plus de deux décennies ; et le licenciement massif des employés de la fonction publique.
L’économie haïtienne présente le panorama suivant : le pays n’a plus sa base dans la production mais dans l’Import-Export, l’Aide internationale et les dettes publiques qui s’accentuent à un rythme effréné en témoignent les statistiques de la BRH.
Ce qui nous intéresse aujourd’hui c’est l’impact de cette mutation dans l’économie nationale.
La part du Secteur primaire dans le PIB est aujourd’hui à 21%, contre 32% en 1982, alors que le secteur secondaire avoisine 17% contre 28% à la même année prise comme référence, et le secteur tertiaire environne les 62%. Depuis 1980 on constate une augmentation flagrante soit de 22% supplémentaire de la valeur ajoutée du secteur des services dans le PIB national (Sources: FMI/ Perspectivesmonde.com).
Haïti a 12 millions d’habitants environ, dont 5 millions forment la population active. Il y a 70% taux de chômage en 2016, selon la Banque Mondiale, c’est à dire 1,5 million de personnes supportent l’économie en terme salarial (Heureusement qu’il existe les transferts nets sans contrepartie pour assurer le quotidien pour certains) contre 3,5 millions de gens qui sont à la recherche d’emplois et sont en âge de travailler, contre 10 millions d’habitants du pays, au total, qui doivent consommer chaque jour n’ayant toutefois aucun revenu.
Le secteur tertiaire occupe plus de 70% des emplois se manifestant non pas par des services dominants et aux entreprises mais par les services aux collectivités se traduisant par les commerces du détail, les médias , l’hôtellerie , la restauration , la sous-traitance , qui ne représentent pas des investissements productifs comme ceux de l’agro- industrie et de l’industrie proprement dite mais par un volume d’importation élevé, avec une propension marginale à importer de 0,75 notamment avec les pays comme USA, la République Dominicaine, la Chine, le Canada etc… selon les données de l’IHSI. Le volume de l’importation excède les 2 milliards 200 millions de dollars en 30 ans depuis 1980, alors que les exportations ne dépassent pas les 510 millions de dollars US (Source : Banque Mondiale, WDI)
Ce n’est pas un effet de déversement intersectorieriel positif qui a produit cette mutation, comme dans certains pays où les industries naissantes ont soutenu les deux autres axes de l’Économie : les services et l’agriculture, mais c’est sous la contrainte de facteurs exogènes se traduisant par le refus systématique de production en s’orientant vers l’achat et la vente de biens et services importés, augmentant le déficit commercial et assure une dépendance constante de l’étranger.
Le secteur tertiaire est incapable de générer des économies d’échelle et de volume, à savoir que le prix d’un bien devrait baisser à mesure que la quantité produite augmente. Et est donc un secteur à faible croissance, ayant une main d’œuvre incompressible du fait du niveau de chômage et de leur niveau académique.
La majorité des ménages du secteur tertiaire ne constitue pas une main d’œuvre assez qualifiée, n’ayant ni connaissances techniques et technologiques ni des compétences aiguës dans la création et l’innovation pouvant répondre à un niveau de salaire élevé pouvant assurer normalement leur quotidien, ne générant qu’un revenu de subsistance.
D’une manière générale, en Haïti, les revenus ne sont pas bien partagés, en témoigne notre coefficient de Gini, cet outil permettant de mesurer l’inégalité des revenus, s’estimant à 0,6 (Source: Journal Le Nouvelliste le 04/01/18 dans les rubriques économiques), le coefficient se trouve entre 0 et 1, plus il tend vers 1, plus l’inégalité des salaires est plus élevée et vice versa.
Seulement 5% de la population s’accaparent de 50% des revenus et donc 95% de l’autre moitié. Ce n’est pas tout : 20% des ménages les plus riches possèdent 65% des revenus.
Alors que l’inflation pénalise les ménages à revenu fixe, selon l’IHSI, la variation du niveau général des prix en glissement annuel est positive, s’élève à 20% en glissement annuel, (jamais aussi élevée depuis octobre 2008, supérieur à 18%); et plus particulièrement une montée des prix des produits de première nécessité à 22% (riz, pois, l’huile, maïs etc.) Alors que le salaire minimum est fixé à 400 gourdes par jour et devrait atteindre 425 gourdes (restauration, commerce de détails) , de 500 gourdes à 800 gourdes (commerce import-export), de 400 à 600 gourdes (hôtellerie) et de 420 à 750 gourdes au niveau de la sous-traitance (cette filière représente 90 % de nos exportations (IHSI)) selon la proposition de loi pouvant modifier celle de septembre 2009, votée par les députés en mars 2019, non encore appliquée cependant, alors que les employés n’ont pas de services sociaux de base et le nombre de personnes par ménage s’estime à presque 5 (4,5/source : IHSI ) pour un revenu quotidien aussi faible relatif à l’employé et ses dépendants.
Cette crise politique qui asphyxie l’économie nationale vient tout coiffer en créant une instabilité et l’augmentation du niveau des risques jamais réalisée depuis 2004 : Certaines entreprises commencent déjà à se délocaliser, le licenciement ,la suspension de contrats alors que les ménages sont déjà rationnés à cause d’une quantité insuffisante d’entreprises pouvant absorber une main d’œuvre abondante , donc par le déséquilibre entre l’offre de travail (ménages) et la demande de travail (entreprises), mais aussi parce que la main d’œuvre n’est pas assez qualifiée , elle ne répond pas alors aux normes et aux attentes des entreprises .
Le secteur informel fait l’absorption de presque tous ceux qui n’arrivent pas à investir le marché de l’emploi, et augmente à mesure que les taxes croissent (13,5% taux d’imposition en 2019), le PIB per capita diminue (870$ en 2019, Banque Mondiale), une hausse des dépenses gouvernementales sans contrepartie (50 milliards de gourdes : fév 2017-sept 2019) et la montée du niveau général des prix (20% en glissement annuel) outre la corruption et l’insécurité. (Source: Université paris Est Créteil, Roseman Aspilaire.)
Pour diminuer l’écart des revenus , l’État doit à tout prix changer de paradigme économique et social pas en augmentant les salaires sans contrepartie mais en offrant des services sociaux de base pour les ménages en se basant sur les points essentiels énumérés dans l’article publié le 08 octobre 2019 dans les colonnes du journal le Médiateur(https://lemediateurhaiti.com/analyse-comment-letat-devrait-il-sy-prendre-pour-sortir-de-cette-crise-politique-et-de-ce-marasme-economique/) pour trouver la stabilité-croissance en vue d’améliorer les performances économiques dans les secteurs porteurs de l’économie pourvoyeurs d’emplois et générateurs de revenus.
Sinon la classe intermédiaire s’appauvrira davantage et la classe pauvre aura tendance à disparaître par la situation abjecte, de misère, de désespoir qui la ronge depuis des décennies.
Atelier de Travaux de Recherches Économiques pour mieux Préparer l’Avenir (ATREPA)