Depuis un certain temps, le présumé bandit Arnel Joseph fait la une dans les actualités nationales et internationales. Les médias d’ici et d’ailleurs en parlent. Les américains, les dominicains, chiliens. Partout dans le monde son nom cite comme un dangereux criminel qui semait de deuil dans les familles haïtiennes. Il est devenu, ironie du sort, un homme célèbre, bien plus que le Président de la République, les parlementaires, les stars de la musique haïtienne… Quand un journaliste annonce dans son émission qu’Arnel Joseph sera son invité du jour, c’est le pays tout en entier qui est branché. Il nous a été ce que Pablo Escobar avait été pour la Colombie en terme de menaces et de popularité.
Arnel Joseph, un bandit ou un révolutionnaire?
Si pour certains Arnel Joseph était un bandit, pour d’autres il était un brave combattant qui luttait pour le périssement du système. Pour les gens de son quartier, il était un travailleur social, un papa bon cœur qui combattait contre l’insécurité alimentaire. Quand un conteneur (grande caisse métallique conçue pour le transport de marchandises) selon lui, ses acolytes et certains de son quartier, c’est au grand public, avec les plus démunis que ces denrées saisis sont distribuées.
Pour lui, l’État, qui aurait dû être le garant de l’équilibre économique entre les riches et les pauvres, favorise en outre ce système où les riches ont des nourritures qui gâtent tellement qu’ils en ont en quantité pendant que d’autre meurent de faim. Et lui étant un combattant révolutionnaire, prenant garde de la position de l’État contre le petit peuple, il fait ce que l’État aurait dû faire par ses politiques publiques.
À la seule différence, il le fait par la manière forte: saisir aux riches (camions de marchandises) pour donner aux pauvres. La police qui aurait dû protéger et servir tout le monde indistinctement, se mette aux côtés des riches (antiprogressites) et les autorités publiques (corrompus et corrupteurs) pendant que les plus démunis baignent dans l’insécurité totale (voire les événements de « Lasalin »). Les policiers ne sont pas d’humeur à voir le peuple se manifester contre la faim, la cherté de la vie, la dévaluation de la gourde par rapport au dollar américain, la corruption, la justice contre ceux-là qui ont détourné le fonds PetroCaribé à leur fin personnelle, la fermeture du Parlement, le départ du Président… C’est ce qui l’a poussé à avoir plus de pitié pour tous les policiers qui ne veulent plus laisser passer ces revendications, ce qui l’a amené à les considérer tous comme ennemis, des anti-peuples qui veulent maintenir le système… Par ailleurs, un bon nombre de la population ne le voyait pas de cet œil, il était un sans foi ni loi qui tuait sans réfléchir, un dévastateur qui théorisait la population, un bandit qui maintenait l’insécurité et l’instabilité, qui pillait, violait sans réserve.
Les causes de nos frustrations: sources du banditisme
Nous sommes tous responsables. L’État à travers ses différents pouvoirs, l’église, la société civile, les bourgeois, nos politiciens, les médias… les causes du banditisme sont multiples. Elles commencent dans nos rapports les plus élémentaires pour arriver à ceux les plus compliqués. Car, une famille (la plus petite communauté humaine) qui adopte un enfant (Sentaniz) et que celui-ci voit que ceux de MATANT et les autres enfants du quartier vont à l’école pendant que lui, il reste à la maison sans pouvoir y aller sera un jour frustré de cela; qui se voit contraindre de faire les ménages les plus rudes de la maison pendant que les autres enfants jouent aux jeux vidéo, regardent des films, séries… sera frustré aussi de cela; il sera frustré de voir être celui qui est puni dans ses différends avec les enfants de MATANT même quand il a raison.
Cet enfant sera frustré de voir MATANT et ses enfants apporter des choses venant du supermarché pendant que lui, étant le plus rude travailleur de la maison ne pouvant pas même les gouter voire les manger. Comme le dit le vieux adage créole « ou wè kanaran, men w paka antre.» Y a-t-il une chose plus frustrante que ça?
L’État de son côté, à travers ses différents pouvoirs, comme le pouvoir judiciaire est considéré par certains le bastion de l’injustice, où les plus faibles économiquement sont le plus souvent ceux qui sont amenés à perdre leur procès, car les juges en majeure partie sont achetés. Le pouvoir législatif pour sa part, avec ses 119 députés et 29 sénateurs coûtent officiellement une fortune au trésor public sans compter l’argent gagné officieusement. Tout cela, pour si peu de travail.
Comment ne pas être frustré du pasteur qui encourage ses fidèles à ne plus s’intéresser aux choses matérielles pendant que lui est propriétaire de grande maison de confort, possesseur de plusieurs voitures luxueuses et ses enfants étudient à l’étranger ?
Comment ne pas être frustré des bourgeois, eux qui sont propriétaires des industries, factoreries dans lesquelles les prolétaires travaillent depuis de nombreuses années restent dans le même train de vie pendant, eux qui les rendent si riches ne bénéficient rien quand le chiffre d’affaire de leurs entreprises augmente chaque année. Ils refusent d’ajuster le salaire minimum (avec la complicité de l’État) ?
Comment ne pas être frustré quand les politiciens pendant leur campagne électorale donne l’impression que quelque chose ira mieux avec eux quand ils seront élu, qu’ils nous donnent une lueur d’espoir… mais quand tout sera fini, les élections remportées, ils ne se diffèrent plus des élus qui les ont précédés. Quel comportement auront les enfants de rue dans 15 ans, qui n’ont jamais été même pour une fois dans leur vie à l’école dès lors qu’ils ont une famille sur leur responsabilité?
Comment veux-tu qu’un enfant se comporte après 10 ans quand il a été grandi dans un quartier où ses voisins, pères d’enfants de la classe moyenne mettant au défi leurs enfants scolarisés de leur parler, voire jouer avec eux? Tout ça pour leur précarité économique, parce qu’ils n’ont pas été à l’école? « Quand le pays donne dégoût dans tous les sens du terme, il faut être un surhomme pour ne pas prendre les armes contre les gens qui nous ont conditionné à être dégouté. »
Enfin, Le tant recherché depuis près de deux ans, le présumé chef de gang Arnel Joseph est finalement arrêté par des unités de la police nationale, le lundi 22 juillet à l’hôpital Lumière de Bonne-Fin, situé non loin de Cavaillon à quelques kilomètres de la ville des Cayes dans le département du Sud. Une bonne partie de la population, de la société civile, de la PNH… ont crié victoire. Ces derniers ont donné des coups de feu en l’air pour célébrer leur contentement. Comme si c’était ça la vraie solution. « Grenn sonnen, Dread Wilme, Kolonèl Raviks, Black, Tèt Kale » et plus récemment « Tije » ont été tous arrêtés et/ou battu par la Police. Cela n’a pas mis fin pourtant au banditisme. Au contraire, d’autres grandissent, ils sont en perpétuelle préparation de devenir pire qu’eux, car, leur conditions de vie ne sont toujours pas changées, les causes qui l’ont amené à devenir si cruels sont toujours présentes.
Si on veut vraiment qu’un problème cesse, c’est aux causes qu’il faut remédier pas aux conséquences.
Jim Larose, auteur