Paraît-il que le langage des autorités haïtiennes ne concordent plus avec la compréhension du peuple haïtien, ou bien est-ce de mauvaise foi qu’ils font exprès de truffer le peuple de sophismes !
Au fait, dans cette soirée du 16 février 2019, bon nombre de citoyens haïtiens attendaient patiemment l’adresse à la Nation du Premier ministre Jean-Henry Céant. Il a bel et bien, avec un style « aristidien« , tenté de tromper la vigilance de plus d’un avec les 9 « projets de décisions » qui constituent le fond de son discours, qui a fallu 10 jours pour être rédigé, mais malgré tout, mal rédigé.
Dans les lignes qui suivent, vous allez en moins de 10 minutes découvrir les 9 failles majeures, sophismes et parallogismes qui découlent de ce discours :
Première faille : Le Premier ministre n’a pas respecté le principe sacré de la ponctualité.
En diplomatie et dans les rapports officiels, la ponctualité est présentée comme le premier principe de protocole, or pour une si importante adresse à la Nation, annoncée à 8h PM, par le Premier ministre lui-même sur son compte Twitter, la population a dû, de surcroît des 10 jours d’attente, subir plus de 2 heures de retard du Premier ministre.
Pour un Premier ministre reproché d’incapacité et d’irresponsabilité, c’était l’erreur fatale à ne pas commettre, car la ponctualité est le premier test qu’on passe à un professionnel lors d’une entrevue. Ce n’est que basique pour une autorité de ce calibre, or le marché du travail fait passer cette épreuve chaque jour aux jeunes en quête d’un emploi.
Deuxième faille : Le discours du Premier ministre était plutôt rhétorique que technique, par rapport à un ensemble de problèmes d’ordre économique et social sur lesquels il devait se prononcer.
La rhétorique utilisée consiste plutôt à faire dormir le peuple au lieu de résoudre les problèmes qui empêchent au peuple de dormir paisiblement. Des problèmes comme la faim, l’analphabétisme, l’insécurité, le chômage, l’inflation, la dépréciation de la gourde, l’exode rural, la migration, la corruption, l’injustice sociale et tant d’autres.
Pourtant ce sont tous des concepts très techniques de l’économie politique et non de la philosophie. Donc aucune rhétorique ne saurait aboutir à des solutions. De plus, le peuple haïtien a déjà connu ce type de discours de 1990 à 2004. La nouvelle génération et les maîtres de la logique ne se laisseront pas endormir.
Troisième faille : Le Premier ministre a formulé des promesses, mais n’a proposé aucune solution réelle et concrète .
Face à une situation urgente qui exige des solutions immédiates, le Premier ministre a parlé en mode promesse comme s’il présentait encore sa politique générale ou bien comme s’il était en campagne. Le discours paraît plutôt électoraliste.
Imaginez-vous que le Premier ministre est le Chef du Conseil Supérieur de la Police Nationale, pourtant dans son discours il n’a annoncé aucune nouvelle mesure de sécurité pour remédier aux violences perpétrées durant ces 10 jours. Il a même oublié de lancer un appel au calme et la reprise des activités. Il a parlé aux policiers comme s’il n’est pas leur supérieur hiérarchique.
Quatrième faille : Les déclarations du Premier ministre politisent davantage le dossier Petro Caribe .
D’ailleurs l’expression Petro Caribe est la plus répétée dans tout le corps du discours du Premier ministre. Ce n’est pas innocemment qu’il le faisait. Il a utilisé une technique de manipulation de la foule afin d’ancrer l’orientation qu’il souhaite donner à ce dossier dans la tête de tous. C’est ce que Christian Plantin, le linguiste et théoricien français de l’argumentation appelle « la construction de l’auditoire ».
Au regard des 10 techniques de manipulation des masses décrypter par le linguiste et politologue Noram Chomsky, il a essayé d’attirer les sympathies de la population par rapport à la dimension politique qu’a déjà atteint ce dossier. C’est ce que Chomsky appelle « Faire appel à l’émotionnel plutôt qu’à la réflexion ».
Alors que le Premier ministre sait pertinemment qu’autant le politique ne cèdera pas la préséance au juridique sur ce dossier, aucun procès légal et équitable ne sera possible.
Pour mieux comprendre là où nous en sommes, considérons que le Premier ministre a avancé encore une fois que l’État a porté plainte sur la base du rapport émis par la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif contre certaines personnes qu’il a lui-même même jugé suspectes.
Si la Plainte se définit de manière classique comme la « Dénonciation d’une infraction par celui qui en a été la victime », alors la plainte dont parle Jean-Henry Céant ne respecte pas le cadre légal.
Légalement, personne n’a été mis en accusation jusqu’à date, car le rapport n’a relevé que des irrégularités administratives et procédurales. Si on s’en tient aux principes du droit pénal spécial, aucune infraction n’a été explicitement qualifiée jusque là, ni aucun arrêt de Débet n’a été délivré contre qui que ce soit ayant été comptable de deniers publics et indexé dans ce dossier au regard du droit administratif haïtien.
Il ne revient pas au Premier ministre de déterminer les suspects, mais aux autorités mandatées à cet effet.
De plus, le document remis au Sénat par la Cour des comptes est un rapport préliminaire. La version finalisée doit être soumise en avril prochain. Ce qui explique que ce rapport pourrait servir de support pour approfondir les enquêtes devant amener aux éléments de preuve justifiant les chefs d’accusation à porter dans la plainte, s’il devrait y en avoir.
Semble-t-il que le Premier ministre ou encore les membres de son Cabinet n’ont pas lu le Décret du 23 Novembre 2005 établissant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif.
La précipitation politique a totalement obstrué la lumière juridique.
Cinquième faille : La décision de réduction de 30% du budget de la Primature est une farce.
Comment le Premier ministre peut s’aventurer de parler Ex Cathedra sur une décision qui implique tout un processus collectif ?
Imaginez-vous que jusqu’à présent le Budget de l’exercice 2018-2019 qui a débuté depuis le 1er octobre 2018 est encore au Parlement attendant la bénédiction finale. Alors qu’en un simple discours le Premier ministre décide de réduire de 30% le budget de la Primature.
De plus, précisons que le budget de la Primature s’élève à 2.22 milliards de gourdes, soit 1.3% du budget national pour l’exercice 2018-2019, contre 1.59 milliards alloués à la Présidence, soit 0.9% du budget. Cela sous-entend que la réduction de 30% du budget de la Primature représenterait 666 millions de gourdes. Alors le Premier ministre voudrait faire comprendre qu’avec ce montant il compte résoudre les problèmes du pays. (Réf. Radiographie du budget 2018-2019 )
Encore une fois le Premier ministre a confondu le Chef du Gouvernement qui doit prendre et mettre en œuvre des décisions objectives et réalisables au candidat à la présidence qui courtise la population avec des promesses aussi irréalisables qu’elles soient.
Sixième faille : Le Premier ministre, dans certaines de ces déclarations, empiète sur la fonction du Président de la République.
Sur la question de la nomination des Directeurs Généraux et des Conseils d’Administration des Organismes autonomes, paraît-il que le Premier ministre n’a pas eu le temps de maîtriser les articles 141 et 142 de la Constitution haïtienne qui se lisent comme suit :
« Article 141 : Le Président de la République, nomme après délibération en Conseil des Ministres, puis approbation du Sénat, le commandant en chef des Forces Armées d’Haïti, le commandant en chef de la Police Nationale, les Ambassadeurs et Consuls généraux et les conseils d’administration des organismes autonomes».
« Article 142 : Par arrêté pris en Conseil des Ministres, le Président de la République nomme les Directeurs Généraux de l’Administration Publique, les délégués et vice-délégués des départements et arrondissements. Il nomme également, après approbation du Sénat, les conseils d’administration des organismes autonomes».
Si le Premier ministre à sa sixième « proposition de décision » a annoncé la nomination de nouveaux Directeurs Généraux à la tête de l’ULCC et de l’UCREF, mais en vertu de ces deux articles, on peut constaté qu’il a aussi oublié que premièrement la prérogative de nomination des Directeurs Généraux relève avant tout du Président de la République ; deuxièmement aucun Arrêté pris en Conseil des ministres n’a jusqu’à présent été publié sur la nomination de ces nouveaux Directeurs.
De surcroît, cet Arrêté doit être pris en Conseil des ministres… Mais qand a eu lieu le dernier Conseil des ministres ayant validé ces nominations ?
Et paraît-il que le Premier ministre n’a pas eu le temps de lire aussi l’Article 13 de la Loi portant organisation et fonctionnement de L’Unité Centrale de Renseignements Financiers (UCREF) qui précise en son troisième alinéa : « Le directeur général est nommé pour un mandat de quatre (4) ans, renouvelable une fois. Il ne peut être mis fin, avant terme, aux fonctions du directeur général, que s’il devient incapable d’exercer celles-ci, a été condamné à une peine afflictive et infamante ou commet une faute grave. La faute grave se définit comme tout acte frauduleux, illégal ou opposé à l’objectif fondamental et aux attributions de l’UCREF ».
Il existe chez les latins un principe juridique qui stipule : « Fraus omnia corrumpit / Le mensonge corrompt tout ».
Mais la question à se poser maintenant, est-ce l’ignorance ou bien la mauvaise foi, ou encore l’erreur qui est à la base de ces mensonges ?
Si l’Article 136 de la Constitution stipule : « Le Président de la République, Chef de l’Etat, veille au respect et à l’exécution de la Constitution et à la stabilité des institutions. Il assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat ».
Sur ce coup on a clairement compris que le Premier ministre confond la fonction de chef du Gouvernement qu’il détient à la fonction de Président. C’est comme si le pays était dirigé par deux Présidents en ce moment. Et ce bicéphalisme problématique contribue à affaiblir davantage l’Exécutif.
Septième faille : Discordance entre la position du Président et celle du Premier ministre.
Alors que le Président avait le 14 février dernier, lors de son adresse à la Nation, exprimé clairement le désaccord du Premier ministre par rapport à ces vœux et directives pour la Nation haïtienne, ce qui laissait entrevoir que le problème qui alimente la crise actuelle du pays se trouvait à la Primature ; pourtant à sa cinquième « promesse de décision », le Premier ministre laisse entendre que tout va très bien entre lui et le Président. Lequel des deux ment à la Nation alors ?
Huitième faille : Globalement le discours du Premier ministre fait l’objet d’un amateurisme accru parce qu’il manque de cohérence.
Le message dans le message n’a pas été cerné, à cause d’un problème de communication politique très grave. Le penchant électoraliste du discours à étouffé la teneur étatique qu’il devait apporter sur la scène politique en ce moment. Ce problème renforce davantage les doutes sur la compétence du Premier ministre par rapport au contexte et au momentum. La faiblesse affichée durant ces 10 jours porte à se demander si le Premier ministre, Chef du CSPN pourra garantir la sécurité de la population lors des élections législatives qui devront avoir lieu en octobre prochain ?
En somme les deux discours de l’Exécutif ne sont pas parvenu à la noblesse de leur fonction, ni à la dimension des défis à venir.
Neuvième faille : Le Premier ministre devrait démissionner à la fin de son discours.
Cette faille peut paraître subjective, pourtant si on s’en tient à toutes les failles précédentes, judicieusement justifiées, en toute conscience, il aurait été plus élégant de sa part si le Premier ministre avait terminé cette adresse à la Nation par la présentation de sa démission, car son discours affirme déjà qu’il ne détient aucune solution face à l’anarchie qui secoue et qui bloque le pays à volonté.
Tout problème mal posé ne fait qu’empirer… À ces mots nous avons constaté que le pire est à venir.
Stevens Grégor Gabriel
Penseur et intellectuel Ayisyen