Depuis huit mois, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) peine à remplir sa triple mission : rétablir la sécurité, organiser des élections et un référendum constitutionnel, puis transférer le pouvoir à un président démocratiquement élu. Ces efforts se sont soldés par des échecs, exacerés par des scandales de corruption et une insécurité galopante.
Face à cette impasse, le Dr Jean Willio Patrick Chrispin propose trois scénarios pour sortir le pays de la crise. Le premier consiste à ce que Leslie Voltaire, membre influent de Fanmi Lavalas et actuel président du CPT, dissolve le conseil et s’autoproclame président de la République avec pour mission d’organiser des élections sous 12 à 18 mois. Le deuxième scénario propose la mise en place d’un binôme où des secteurs politiques et civils choisiraient un juge à la Cour de cassation pour occuper la présidence, tandis que Leslie Voltaire deviendrait Premier ministre pour superviser la transition. Enfin, le troisième scénario suggère de confier cette mission à Jocelerme Privert, ancien président salué pour son rôle dans les élections de 2016, afin qu’il reprenne les rênes pour organiser un scrutin inclusif et remettre le pays sur les rails démocratiques. Ces propositions visent à rompre avec un CPT discrédité, notamment par l’implication de trois conseillers dans un scandale de corruption à la Banque Nationale de Crédit (BNC).
Le double jeu de FAnmi Lavalas
Malgré son implication directe dans le CPT via Leslie Voltaire, Fanmi Lavalas ne cache pas son mécontentement. Dans une note récente, le parti critique sévèrement le conseil, dénonçant son incapacité à répondre aux défis majeurs du pays. Les massacres à Wharf Jérémie et à Petite Rivière de l’Artibonite sont présentés comme des preuves de son inefficacité. Fanmi Lavalas accuse également le CPT de corruption, de mauvaise gouvernance et d’avoir failli à mettre en œuvre l’accord du 3 avril, sans aucune avancée notable sur les réformes institutionnelles ou les conditions de vie de la population.
Vue cette situation, le parti de Jean-Bertrand Aristide a menacé de quitter le CPT, bien qu’il maintienne Leslie Voltaire en poste. Cette posture ambiguë suscite des interrogations : Fanmi Lavalas envisagerait-il de capitaliser sur la proposition du Dr Chrispin pour étendre son influence ?
Pourquoi l’option du Dr Chrispin ?
Plusieurs éléments tendent à suggérer que Fanmi Lavalas pourrait envisager une telle option. Récemment, des proches du parti ont accédé à des postes clés dans la diplomatie haïtienne, renforçant ainsi leur poids auprès de la communauté internationale, un atout crucial pour légitimer une éventuelle prise de pouvoir. De plus, en dénonçant le CPT tout en y conservant son leadership, Fanmi Lavalas pourrait fragiliser l’institution de l’intérieur et préparer le terrain à une solution alternative favorable à ses intérêts. Enfin, dans un contexte de crise sans précédent, le parti pourrait voir en Leslie Voltaire un moyen stratégique de rétablir son emprise politique après plus de vingt ans d’éloignement du pouvoir direct.
Cependant, la suggestion du Dr Chrispin divise. Plusieurs observateurs soulignent les risques qu’elle implique. La Cour de cassation, censée jouer un rôle impartial, est elle-même accusée de viser des ambitions politiques, remettant en question son intégrité. Jocelerme Privert, bien qu’il ait fait ses preuves en 2016, pourrait être critiqué pour certaines décisions passées, comme l’arrestation de Guy Philippe, qui suscite encore des tensions. De plus, une éventuelle autopromotion de Leslie Voltaire pourrait être perçue comme une prise de pouvoir unilatérale, compromettant tout effort d’inclusion et de transparence.
Dans un climat d’instabilité et de violence, le temps presse. Comme le rappelait l’ancien conseiller du défunt président Jovenel Moïse : « Le robinet de sang doit cesser de couler. » Fanmi Lavalas, avec ou sans la proposition du Dr Chrispin, saura-t-il transcender les divisions et mobiliser son expérience politique pour apporter une solution durable à la crise haïtienne ? L’avenir nous le dira.
Marc-Athur Édouard