“Kreyon pèp la pa gen gòm. Menm si yo vle efase tout dat, tout senbòl, yo pap kapab paske kreyon pèp la pa gen gòm.” Traduction française : « Le crayon du peuple n’a pas de gomme. Même s’ils veulent effacer toutes les dates, tous les symboles, ils n’y parviendront pas, car le crayon du peuple n’a pas de gomme. » Ces mots du conseiller-président Lesly Voltaire, qui est resté silencieux face à la banalisation des dates historiques, uniquement pour s’opposer à Jovenel Moïse tout au long de son mandat, résonnent avec une ironie mordante en ce vendredi 29 novembre 2024.
Écouter Lesly Voltaire discourir à Fort-Liberté sur la bataille de Vertières, c’était comme assister à une pièce de théâtre absurde. Ce monsieur, membre éminent du parti Fanmi Lavalas, aurait dû commencer par un mea culpa historique au nom de sa famille politique : pour avoir dissous l’armée d’Haïti en 1995, pour avoir contribué à déstructurer le pilier de notre souveraineté nationale. Mais non, il préfère porter le masque de l’audace et se présente comme le chantre de l’armée d’Haïti. Comme si le public qui le reçoit dans le département du Nord-Est venait de la planète Mars. Comme si la technologie de l’information n’existait pas.
Monsieur le conseiller-président nous prenez-vous pour des cons ? Croyez-vous que l’histoire, comme un vulgaire brouillon, peut être corrigée à coups de discours bien ficelés ? La dissolution de l’armée nationale, orchestrée sous l’administration d’Aristide, votre mentor, a ouvert la voie à la prolifération des gangs armés qui aujourd’hui sèment la terreur dans tout le pays. Et pourtant, à l’époque, où étiez-vous ? Silencieux. Complice.
Dissoudre l’armée n’était pas une décision administrative, mais une attaque frontale contre notre souveraineté. La bataille de Vertières, comme vous l’avez mentionné dans votre discours, était le triomphe d’une armée d’anciens esclaves contre les plus grandes puissances coloniales de l’époque. Napoléon Bonaparte, le roi d’Espagne, le roi d’Angleterre… Tous ont dû plier devant l’audace des captifs de Saint-Domingue. Mais vous, en 1995, avez-vous oublié ce que vous avez fait de cette historique victoire ?
Aujourd’hui, vous avez le toupet de venir célébrer le résultat de cette bataille ? N’est-ce pas vous qui nous rappelez : “kreyon pèp la pa gen gòm.” Eh bien, on n’efface pas aussi facilement le souvenir des humiliations, des traîtrises, des failles que vous avez vous-même creusées.
Nous devons reconnaître que votre régime a été la première victime, en 2004 lors de la célébration du bicentenaire de l’indépendance, de la désacralisation des dates symboliques de notre histoire dans la bataille pour évincer Monsieur Aristide du pouvoir. Au lieu de célébrer la grandeur d’un peuple qui a arraché sa liberté au prix du sang, des opposants politiques, en complicité avec des élites intellectuelles telles que Lionel Trouillot, Gary Victor, Laënnec Hurbon, ont préféré boycotter l’événement, politiser la mémoire collective et laisser la République s’effondrer dans le chaos.
Mais sous la présidence de Jovenel Moïse, assassiné dans des circonstances troubles, vous avez épousé cette posture d’oubli volontaire. Les célébrations telles que le 1er janvier, fête de l’indépendance aux Gonaïves, le 18 mai, fête du drapeau à l’Arcahaie, le 28 novembre Bataille de Vertieres ont été régulièrement sabotées, piétinées, réduites au silence sous prétexte de protestation politique.
Alors aujourd’hui, quand vous vous présentez comme défenseur de Vertières, permettez-nous de douter. “Kreyon pèp la pa gen gòm” : nous avons une mémoire vive et incisive. Votre discours est une insulte à la mémoire collective d’un peuple qui sait reconnaître l’hypocrisie sous ses beaux atours.
Voltaire, l’histoire d’Haïti ne se réécrit pas à coups de belles paroles. Elle se vit, elle se défend, elle se respecte. Et aujourd’hui, face à votre discours, nous ne pouvons que vous poser cette question : êtes-vous sérieux ?
André G. Alcimé