La scène politique, telle qu’elle se déroule actuellement, n’a rien de surprenant. Qui dans le milieu ne savait pas que le Premier ministre Céant n’allait pas passer plus de six (6) mois à occuper ses fonctions ? Absolument personne! Le secret de polichinelle, tant néfaste pour la conduite d’un État, est la marque fabrique de ce prétendu système depuis fort longtemps. Bizarrement, ce qui manque c’est la capacité des acteurs de parer les coups quoique connus d’avance. Sauf François Duvalier semblait échapper à cette règle.
La destitution de Céant programmée dès sa rentrée en fonction est aussi l’une des raisons qui l’a poussé à prendre partie dans la tentative de renversement du Président Jovenel aux côtés des membres de l’opposition. Il n’a commis aucun péché sur ce point si nous considérons que d’autres à sa place, dans cette situation auraient fait pareil. Sauf qu’à côté de ses nombreuses erreurs, il n’a pas appris des évènements qui ont empêché la censure de René Préval en tant que Premier ministre en août 1991, également ceux qui ont accéléré le rejet de la nomination d’Ericq Pierre à ce poste en 1997. Il n’a pas su ou n’a pas pu contrebalancer la donne en gagnant violemment les rues et, du coup, dégager une démonstration de puissance.
Aucune manifestation menaçante, aucun attroupement de ses partisans n’a été remarqué aux abords du Parlement lors de son interpellation. Quelques semaines auparavant, il aurait dû comme aurait fait peut-être un Gérard Latortue :
- Retourner l’apaisement de la situation à son profit en plaçant un accent sur les mesures qu’il avait annoncé ;
- Dénoncer avec véhémence la tentative de bloquer le pays dans la soirée du 7 mars dernier ;
- Visiter les Ministères en étant accompagné des militants à lui et par surprise ;
- Faire courir le bruit de sa démission ; et
- Rester finalement au Maroc jusqu’à la fin de sa mission.
Il a été donc trop clément, trop faible et trop conciliant dans son baroud d’honneur. Ce qui est dommage pour un politicien de sa trempe.
Aussi acculé par le fait que la séance au Sénat qui représentait sa dernière carte n’a pas eu lieu, son recours un peu rapide à la justice est aussi une preuve qu’il a été lâché de tout part par ses partisans.
Le seul enjeu pour les Sénateurs était au moins de sauver la face par rapport aux Députés qui, cherchant à être réélus, se font de plus en plus puissants en contrôlant d’une part les Ministères et en s’alliant, d’autre part, avec le Président de la République. Et les pères conscrits en bon calculateurs auront la possibilité d’effectuer ce sauvetage dans le choix du prochain Gouvernement.
Les carottes sont alors cuites. Un Lapin, à qui on ne s’attendait pas, commence déjà à en profiter.
Quoiqu’il en soit, Jovenel Moïse s’est décidé à avoir un ennemi en plus. Ayant survécu à trois révoltes en moins de deux ans est pour lui un exploit ; mais passer trois Premier ministres en moins de trois ans n’est pas signe de stabilité politique. La durée de son mandat n’est peut-être pas compromise, mais allons-nous pouvoir en dire autant en ce qui concerne la réussite ?
Ricardo Germain