Dans une analyse publiée récemment intitulée « Transitions politiques et changement de la Constitution : nous avons tout faux », le professeur Wilson Laleau dénonce la spirale interminable des transitions politiques en Haïti, qu’il considère comme une méthode déguisée de conquête du pouvoir. Selon lui, la classe politique a transformé le pouvoir provisoire en système de gouvernance.
« Depuis plus de deux siècles, Haïti demeure piégée dans un cycle de transitions politiques sans issue », écrit-il. Chaque crise débouche sur un nouveau projet constitutionnel censé refonder la République, mais « les mêmes causes : faiblesse institutionnelle, hypercentralisation, capture oligarchique, dépendance externe, reproduisent les mêmes effets : instabilité, méfiance et fragmentation ».
Pour L’ancien vice-recteur de l’université d’État d’Haïti, cette succession de régimes provisoires traduit une volonté délibérée de contourner les urnes. « Les transitions, coups d’État et gouvernements provisoires ne sont pas des anomalies, mais les modalités habituelles de transfert du pouvoir. » Il ajoute : « Nous adoptons les textes pour réparer la façade, pas pour renforcer la charpente. »
Le professeur critique aussi la fragmentation du champ politique : plus de deux cents partis, sans véritable ancrage idéologique ni base territoriale. « Le pullulement des partis rend l’offre politique illisible et génère des cabinets ingouvernables », souligne-t-il. Une situation qui, selon lui, favorise la capture de l’État par une oligarchie économique et politique « qui l’utilise comme outil de rente ».
L’ancien ministre des Finances ne plaide pas pour une rupture brutale, mais pour une refondation méthodique. Il propose l’adoption d’« une Constitution transitoire de cinq ans », conçue comme un laboratoire politique pour tester des institutions stables avant d’en adopter une définitive. Il y préconise la création d’un « président custode, au-dessus de la mêlée », d’un gouvernement de coalition et d’une décentralisation réelle.
Pour lui, la sortie durable des transitions ne passera ni par la rhétorique ni par la répétition des textes, mais par une méthode fondée sur « l’apprentissage, la participation et la responsabilité collective ».
« Ce n’est pas une nouvelle Constitution qu’il faut rédiger, mais un processus constitutionnel qu’il faut instituer », conclut-il.
Selon plusieurs observateurs, la mise en garde du professeur Laleau résonne avec l’actualité. Alors que certains acteurs politiques réclament encore une nouvelle transition en lieu et place d’élections, ils semblent, disent-ils, vouloir reproduire les mêmes erreurs dénoncées depuis 1986. Reprendre le même modèle, « dans les mêmes conditions, reproduira nécessairement le même résultat », a déjà prévenu Laleau. Pour ces observateurs, il est temps d’en finir avec cette culture du provisoire et de rétablir la légitimité par les urnes, si les dirigeants veulent vraiment construire une autre Haïti, plus responsable et démocratique.
Mario Jean-Pierre