Depuis plusieurs années, Laurent Salvador Lamothe, ancien Premier ministre de la République d’Haïti, se lance dans un plaidoyer qui marie la bonne gouvernance, la technologie et l’innovation comme une porte de sortie que certains États pourraient emprunter aujourd’hui. Ainsi, il participe à plusieurs grands forums à travers le monde et notre équipe a eu l’honneur de l’interviewer à propos de ses idées innovantes et innovatrices.
Pourquoi pensez-vous qu’aujourd’hui la technologie devrait être au centre du développement de certains États ?
LL : J’ai récemment pris la parole à Angotic, le forum d’innovation le plus réputé en Angola. J’ai expliqué qu’aujourd’hui, la technologie a tellement progressé qu’un agriculteur angolais a autant accès à l’information que le président. Mais le défi est de savoir si, et avec quelle rapidité, il pourra tirer parti des avancées technologiques, ce qui lui permettra d’augmenter radicalement l’efficience et l’efficacité de ses programmes et services. L’histoire a démontré que les nouvelles technologies peuvent avoir une incidence fondamentale sur le fonctionnement des gouvernements. Les progrès technologiques peuvent améliorer ou rationaliser les tâches administratives et la prestation de services.
Face à cette nouvelle perception de la gouvernance, comment un gouvernement devrait-il s’y prendre ?
LL : Au fait, un bon point de départ pour les gouvernements qui souhaitent se lancer dans la transformation numérique consiste à considérer les citoyens comme des clients. Le secteur public doit rendre l’expérience du citoyen plus conviviale. De la même manière que le secteur privé met l’accent sur l’expérience et la satisfaction des clients. Obtenir une licence, demander une carte d’identité ou un passeport peut être aussi simple que d’utiliser votre téléphone et de télécharger une application.
Existent-ils aujourd’hui des pays qui ont réussi dans ce domaine ?
LL : Bien sûr ! Des pays comme l’Estonie, largement considérée comme la société numérique la plus avancée au monde, démontrent qu’il est possible de repenser le gouvernement en tant que plate-forme numérique et les citoyens en tant que clients.
Les Estoniens ont mis en place un écosystème efficace, sécurisé et transparent qui permet d’économiser du temps et de l’argent. Les statistiques parlent d’elles-mêmes; 46,7% des Estoniens utilisent le vote par Internet, 98% ont une carte d’identité numérique et 99% de tous les services sont en ligne.
Considérant le modèle estonien, peut-on déduire qu’aujourd’hui tous les États devraient se lancer dans la transformation numérique ?
LL : Lorsque l’Estonie a commencé sa transformation numérique il y a une vingtaine d’années, il n’y avait pas de collecte de données numériques. La population en général ne disposait pas d’Internet ni même d’appareils pour l’utiliser. Mais le gouvernement de l’époque a décidé d’investir massivement dans les solutions informatiques et était prêt à expérimenter. Pour faire de l’Estonie électronique l’une des sociétés électroniques les plus avancées au monde, il a fallu expérimenter en permanence et apprendre des erreurs.
Le conseil que l’Estonie donne aux gouvernements, sur la base de la leçon tirée, consiste tout d’abord à créer une infrastructure numérique qui rende les services accessibles et conviviaux.
Deuxièmement, la culture numérique est essentielle. L’utilisation des médias, l’éducation dans les écoles et les cours financés par l’État pour acquérir les compétences informatiques indispensables sont cruciaux, car ils permettent de passer en douceur au numérique. Ce dernier point est particulièrement vrai pour les générations plus âgées qui ont besoin de plus de soutien que les natifs numériques des jeunes générations.
Le résultat en Estonie est convaincant : 95% des personnes déclarent leurs impôts en ligne, 97% des retraités demandent le paiement de leur pension en ligne. Il est sans aucun doute possible pour les gouvernements du monde entier de suivre l’Estonie.
Cependant, j’ajouterais deux éléments supplémentaires :
Premièrement, encourager le partenariat public-privé comme on le voit dans les Caraïbes. Aucun acteur (gouvernement, entreprises, société civile, universités ou individus) ne peut mettre en œuvre à lui seul des projets de transformation numérique. Plusieurs partenaires peuvent mettre en commun leurs ressources, leurs compétences et leurs connaissances, ce qui est essentiel.
Klaus Schwab, fondateur et président exécutif du Forum économique mondial, résume cette idée à la perfection par ces mots : « Les gouvernements, les entreprises et la société civile ne peuvent à eux seuls relever les multiples défis que nous avons à l’ordre du jour. Nous avons besoin de collaboration. »
Le deuxième élément est la capacité de financer ces projets. Ce n’est pas bon marché, et ces projets durent souvent plusieurs années. En ce qui concerne le financement, si un pays ne parvient pas à trouver le revenu supplémentaire par le biais de son assiette fiscale, il peut chercher à obtenir un prêt. La solution la plus courante consiste à contacter les organisations multilatérales, la Banque mondiale, le FMI et d’autres banques de développement.
Cependant, cela signifie augmenter le niveau d’endettement d’un pays, ce qui pourrait ne pas suffire. Le financement innovant est une solution alternative qui permet aux gouvernements de combler le déficit de financement du développement. Le pouvoir de la technologie numérique est profond. Avoir la volonté politique, incorporer une approche collaborative et une pensée innovante rapprochera de nombreux pays de la réalité vécue par les Estoniens.
Merci Monsieur Laurent Salvador Lamothe pour cette entrevue et à bientôt !
LL : Merci à vous aussi.