Il y a trois ans, Ariel Henry affirmait dans un entretien accordé à la VOA que les sanctions internationales contribuaient à améliorer le climat sécuritaire et favorisaient le dialogue entre acteurs haïtiens. Aujourd’hui, cette déclaration mérite une relecture critique, non seulement à la lumière des faits, mais aussi à travers ses non-dits et ses implications politiques.
Au moment de son intervention, le Premier ministre d’alors présentait les sanctions comme un levier pour restaurer l’ordre et moraliser la classe politique. Pourtant, loin d’apporter un apaisement, les années qui ont suivi ont vu le pays s’enfoncer dans une insécurité sans précédent : quartiers entiers pris en otage par les gangs, institutions paralysées, services publics effondrés, routes impraticables, aéroport international fermé, et une population livrée à elle-même. Cette détérioration dramatique met déjà en doute l’idée que les sanctions auraient amélioré quoi que ce soit sur le terrain.
Par ailleurs, plusieurs personnalités frappées par ces sanctions se battent encore pour obtenir les preuves censées justifier les accusations portées contre elles, sans succès jusqu’à présent. L’ancien Premier ministre Laurent Lamothe en est l’un des exemples les plus emblématiques, bien que d’autres en mériteraient tout autant le poids. C’est un secret de polichinelle : sous l’ère Henry, les sanctions ont trop souvent servi d’outils politiques pour neutraliser certains opposants, induisant en erreur les administrations américaine et canadienne.
Mais l’enjeu va plus loin. La déclaration d’Ariel Henry semble masquer deux non-dits majeurs.D’une part, présenter les sanctions comme un outil de stabilisation revient à détourner l’attention de l’absence totale d’élections pendant toute la durée de son mandat. Au lieu d’un retour au processus démocratique, le pays a été plongé dans un vide institutionnel prolongé.
D’autre part, mettre en avant les sanctions permettait aussi de se dédouaner de la responsabilité directe dans la dégradation sécuritaire, voire de protéger certains alliés soupçonnés de corruption et de liens avec des réseaux criminels.
Trois ans après, les faits parlent d’eux-mêmes : si les sanctions ont aidé quelqu’un, ce n’est certainement pas la population haïtienne, prise en otage par les gangs et par un État paralysé, héritier d’un fardeau aggravé par l’échec cuisant des dirigeants précédents. En fin de compte, la déclaration d’Ariel Henry relève moins d’une analyse lucide que d’un écran de fumée.
Mario Jean-Pierre
