Du nombre des citoyens et citoyennes haïtiens soucieux, mais surtout inquiets de l’avenir du pays, le politologue Roudy Stanley Penn s’est sorti de son silence pour adresser une lettre ouverte au Président de la République Jovenel Moïse, lui rappelant qu’il a 11 millions d’âmes humaines qui dépendent de ses décisions. Donc, en cas faillite face à cette responsabilité, il n’a que faire, sinon soumettre sa démission et laisser fonctionner le pays.
Monsieur le Président,
Je fais partie de ceux et celles qui, ce dimanche 20 de novembre 2016, avaient voté pour Jovenel Moise, surnommé à l’époque « nèg bannann nan ». Pas par fanatisme, mais parce qu’au milieu de ces offres les unes moins pires que les autres, j’avais seulement opté pour la moins pire. Je n’étais pas naïf car je savais que tôt ou tard, si rien n’est fait, la plaie allait devenir si fétide que l’odeur nous étourdirait tous.
Celui qui allait devenir président, a hérité d’un système, un pays qui était au bout de ses limites. Car pendant plus qu’un demi-siècle, nous avons érigé la corruption en norme, faisant de l’Etat une vache à lait où chacun vient tirer la mamelle, oubliant qu’arrivant un moment, il n’y aurait plus de lait, plus de vache. Ou… pas assez pour tous les gourmands.
Vous ne l’aviez peut-être pas mesuré, mais les défis Monsieur le Président, au moment où vous étiez candidat, était grands. Les enjeux étaient immenses. Accepté ce poste dans un pays où la croissance économique est restée décevante pendant quatre dernières décennies, cela incombait un leadership et une vision claire et sagace des choses, pour remonter la pente.
Ce peuple qui en ce moment gagne les rues, ne vous déteste pas. Si l’on vous fait croire cela, sachez qu’il n’y a pire mensonge. Je ne saurais en même temps dire qu’il vous aime, mais il ne vous déteste pas. Par contre, il haie les lâches, les menteurs, les faibles, ceux qui croient pouvoir le berner avec des promesses mirobolantes pendant qu’il croupit dans la misère la plus insolente. Les élites ont tout promis, mais n’ont rien donné. Vos prédécesseurs ont tout promis, mais n’ont rien donné.
Et là maintenant je vous écris. C’est prétentieux de ma part. Car qui suis-je. Je ne suis pas un de vos conseillé, ni un nanti ayant faufilé quelques liasses dans votre campagne. Je sais que ce n’est pas évident que ces mots parviennent, comme je le souhaite, jusqu’à vous. Car je sais que les murs qui vous entourent sont assez hissés pour que mes propos y parviennent, mais sachez que la grogne populaire est bien à vos portes.
Plus que des paroles et des discours, ceux et celles qui sont dans la rue, ou qui soutiennent le mouvement de protestation à travers leur smartphone, veulent du concret. Ils veulent que l’on mette un terme à des pratiques séculaires qui enrichissent un petit groupe, alors que la condition de la grande majorité ne cesse, à un rythme effréné, de s’empirer. La misère n’est même plus appropriée pour parler de la condition sociale de la majorité des Haïtiens. Cela remonte déjà à quelques années depuis qu’une bonne partie de ceux et celles qui constituaient la classe moyenne est descendue à un niveau de « masse élevée ». C’est ça le pays que vous avez hérité, et c’est là votre défi majeur.
Si vous êtes aujourd’hui incapable de résoudre la crise, vous devez tout simplement démissionner. Si vous êtes incapable de retirer les monopoles, vous devez encore et tout simplement démissionner. Si vous n’avez n’a pas assez de couilles pour mettre un terme aux franchises accordées à ces élites pourries et lutter de toutes vos forces contre la contrebande, vous n’avez pas le choix sinon encore que de démissionner.
C’est juste une question de principe Monsieur le Président.
Si vos amis ne veulent pas payer d’impôts, sous prétexte qu’ils ont financé votre campagne – et que cela ne vous dit rien – ce serait plus gentil et plus élégant, que vous arrangiez vos effets pour ensuite démissionner.
Si vous n’êtes pas capables de rentabiliser les entreprises publiques qui enrichissent des particuliers et leurs clans, il serait plus sage et plus judicieux de démissionner.
C’est juste une question de principe Monsieur le Président.
Si vous vous voyez incapable, Monsieur le Président, de résoudre le problème du chômage qui fait fuir par centaines de milliers nos jeunes compatriotes, une fois de plus, le mieux serait que vous ayez assez de courage pour démissionner. Par principe.
Et enfin, enfin ! si vous n’êtes pas capable d’engager le procès « petrocaribe » et tracer une fois pour toute, cette leçon que « l’Etat est fait pour servir et non pour s’en servir », je regrette Monsieur le Président, le mieux pour vous serait de démissionner. Par principe tout simplement ; Par grandeur si cela vous tente de rentrer dans l’histoire ; Par courage, si vous êtes prêt à tourner le dos à certains, même lorsqu’ils auraient contribué à vous garantir ce fauteuil.
C’est juste un conseil. Un conseil, parce que vous avez le choix… entre la colère du peuple et les pressions des murs qui vous entourent et vous empêchent de voir la misère dans laquelle patauge cette masse innocente qui exige pourtant peu. Très peu.
La misère est bien réelle Monsieur le Président. Elle n’est pas une fabrication médiatique, ni un excès de vos opposants. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est cette misère qui donne autant de force et courage à ces jeunes qui, depuis plusieurs jours, gagnent les rues et réagissent avec autant de colère.
Cette misère peut devenir fatale. Faites un choix Monsieur le Président.
Roudy Stanley PENN
Politologue