Port-au-Prince, le 9 juin 2019
Ayitiens et Ayitiennes,
Les temps sont très durs ces jours-ci, le pays est aux abords d’une explosion sociale. Et si on y arrive, beaucoup parmi vous et moi périront. Cela s’avère une évidence pour tout un chacun.
Ce bain de sang que nous nous apprêtons à répandre, sera-t-il juste, résoudra-t-il les problèmes profonds de haine, de vengeance, d’ambition et de trahison qui rongent ce pays depuis sa naissance ?
La réponse est non, et chacun de vous le sait aussi puisque tout problème mal posé ne fait qu’empirer la situation.
Je me peine de voir le pays sous cette allure d’anarchie. Rien n’est sous contrôle. On est plongé dans une débandade démesurée. Et nous en sommes et serons tous victimes à la fin.
Dans le but d’éviter tout quiproquo, je tiens à vous mettre en garde que cette démarche ne vise pas spécifiquement à défendre Jovenel Moïse face à la gestion du pays. Je ne saurais me prévaloir une telle prérogative vu que les faits justifient la mauvaise gouvernance du pays en ce moment.
Ce que je défends en ce moment, c’est l’honneur de mon pays dans lequel j’ai choisi volontairement de demeurer ; c’est l’histoire de mon pays que je vois se profaner chaque jour ; c’est le rêve que je chéris chaque jour, même dans les heures si sombres de la nuit, je rêve de me voir marcher un jour dans une Ayiti où je ne serai pas obligé d’esquiver ordures et cadavres…
Je continue à défendre par ces écrits, comme je le fais chaque jour, le droit des orphelins, autant que j’inculque au peuple, partout sur mon passage, les valeurs de la citoyenneté responsable.
Mais aujourd’hui, c’est comme si tout cela ne voulait plus rien dire, car autant que certains déploient des efforts et sacrifient temps et énergie pour sauver ce pays, à notre grande déception, les choses ne font qu’empirer…
Maintenant, la chose à considérer c’est que beaucoup d’entre nous veulent sincèrement voir la situation évoluer, pourtant nous ne partons pas de la même stratégie.
Aujourd’hui, si vous voulez, vous pouvez mettre le pays en feu et en cendres, mais cela ne va rien changer puisque vous n’avez aucun plan de reconstruction. Lorsque, lors de la bataille de l’indépendance, Christophe avait incendié la ville du Cap pour ne pas tomber entre les mains des français, ce fut un plan stratégique bien défini et rappelez-vous qu’après et aujourd’hui encore c’est Christophe le Roi bâtisseur qui nous a gratifiés de la Citadelle Henry. Voilà un visionnaire !
Mais aujourd’hui, sommes-nous menés par des visionnaires ou des manipulateurs ? Quelle est l’alternative que nous avons tous choisie?
Une bataille menée avec une armée dont chaque soldat défend sa propre cause et ses propres intérêts différents l’un de l’autre ne saurait mener à la victoire… Et même si on gagnerait, la discorde ne tarderait pas à s’y installer comme nous l’avons si bien justifié le 17 octobre 1806 avec l’assassinat de Jean Jacques Dessalines. « Les mêmes causes produisent les mêmes effets dans les mêmes circonstances ».
Mon inquiétude ce n’est pas Jovenel Moïse, mais plutôt Ayiti mon pays. Jovenel est là pour 5 ans, Ayiti est éternel. Brûler, casser, briser, démolir le pays ne résoudra en rien le problème aujourd’hui pas moins que cela ne l’a pas résolu depuis la naissance du pays. Lanza Del Paso a dit : « Toute révolution qui n’est pas accomplie dans les mœurs échoue », et nous sommes à nouveau sur le plan d’échouer parce que nous n’avons pas commencé par le commencement.
Un sage a dit : « Une révolution a besoin de temps pour s’installer ». Or nous autres Ayitiens la patience n’est pas une vertu que nous cultivons.
Ce sont nos choix émotionnels et intempestifs qui nous ont conduits là où nous sommes, pourtant jusque-là, nous n’en avons pas encore pris conscience. Nous choisissons et nous bannissons comme bon nous semble sans aucun plan qui ne dépasse même pas le bout du nez. Nous conspirons contre nous-mêmes depuis plus de 200 ans et nous cherchons toute sorte de personnes à incomber la faute.
Nous faisons la politique comme des enfants de 5 ans qui badinent dans leur merde et jusqu’à présent nous n’avons pas conscience.
Nous sommes sur le point de lancer une guerre de laquelle aucun des antagonistes ne sortira vainqueur. Et si nous parvenons à la phase ultime où nous aurons perdu notre prérogative d’auto-détermination, il en reviendra à la communauté internationale encore une fois de décider de notre sort. Alors si c’est ce que vous voulez, allez-y, continuez dans le sens que vous avez emprunté, car nous sommes tout près du but.
Je ne vois guère de la sincérité dans les prétendues démarches révolutionnaires qui naissent comme de l’herbe dans ce pays, par contre j’y vois plutôt un signe avant-coureur pour les générations à venir, si vraiment nous tenons à changer ce pays.
Stevens Grégor Gabriel