La violence dévastatrice et incontrôlable des gangs, qui provoque des assassinats, incendies des maisons et des déplacements massifs dans les quartiers populaires de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince, trouve en partie son origine dans l’absence flagrante de leadership chez nos élites politiques. Cette carence est engendrée par une perte de confiance profonde de la population envers des dirigeants décrédibilisés et une incapacité de porter le flambeau de l’espoir pour notre jeunesse, qui devrait marcher sur le chemin de l’éducation, de l’apprentissage, du respect et de la foi en un avenir meilleur.
L’ancien président Jean-Bertrand Aristide, depuis la chute du régime Duvalier le 7 février 1986 jusqu’à son retour au pouvoir le 18 mars 2001, s’est distingué, selon des observateurs avisés, parmi les leaders de sa génération comme un véritable guide, prêt à mener la jeunesse avec la détermination d’un berger guidant ses brebis. Son charisme et ses positions fermes en faveur des plus vulnérables lui ont valu la sympathie et la confiance des jeunes et des anciens issus des couches les plus défavorisées. Aux côtés de figures comme le professeur Victor Benoît, l’ancien Premier ministre Evans Paul, le défunt Dr Turneb Delpé, le regretté René Théodore, ou encore l’ancien président Leslie Manigat et son épouse Mirlande Manigat, il incarnait un leadership fondé sur la conviction politique et le progrès du pays.
Cependant, au fil des ans, nos politiciens ont préféré des luttes acharnées pour le pouvoir, reléguant au second plan l’intérêt supérieur de la nation, le développement du pays, l’éducation de nos jeunes, et le progrès de secteurs clés comme l’agriculture. Ces dirigeants politiques ont souvent laissé derrière eux des bilans marqués par des scandales de corruption, des enrichissements illicites, une économie en constante régression, une montée du chômage et de l’inflation, une fuite massive des cerveaux et des capitaux, et une émigration croissante de nos compatriotes.
Face à cette situation, des enfants de la matrice populaire, abusés, marginalisés et désemparés, ont choisi le chemin du banditisme, ne voyant plus aucune lumière à l’horizon. Des quartiers comme Bel-Air, Cité-Soleil, Fort-National, La Saline ou Bas-Delmas, autrefois animés par le sport, la musique, et les traditions culturelles – rara, bandes à pied, twoubadou –, vibrent aujourd’hui au rythme du banditisme, du kidnapping et de l’exploitation sous toutes ses formes.
Avant d’atteindre ce point culminant, il y a vingt ans, en 2004, Jean-Bertrand Aristide, alors président, avait tendu la main à l’opposition politique et à la société civile pour dialoguer et réconcilier la nation avec elle-même, en vue des célébrations des 200 ans de l’indépendance nationale. Mais la méfiance et l’orgueil de ses adversaires ont eu le dessus. Ils ont préféré se focaliser sur la prise du pouvoir. Cela a précipité sa chute et son exil le 29 février 2004. Depuis son retour au pays le 18 mars 2012, il s’est consacré à la formation des jeunes à travers son université, laissant à d’autres le soin de gérer les affaires publiques.
Cependant, toute figure politique, aussi charismatique soit-elle, porte une part d’ombre. La gouvernance de Jean-Bertrand Aristide a également été reprochée des controverses
comme, notamment l’armement présumé des jeunes dans les quartiers populaires, la mauvaise organisation des élections au profit de son parti, les accusations de tentative de museler ses adversaires politiques et la presse, son intransigeance ou son côté vindicatif, son incitation à la haine. Ces allégations alimentent aujourd’hui un scepticisme légitime, notamment chez ceux qui se méfient des dirigeants corrompus et criminels.
Aujourd’hui, le représentant de son parti politique, Fanmi Lavalas, son poulain Lesly Voltaire, est aux commandes du Conseil Présidentiel de Transition (CPT). Cette structure a pour mission délicate de travailler sur la réforme constitutionnelle et l’organisation des élections dans un pays où la méfiance et l’instabilité dominent.
Et si Jean-Bertrand Aristide sortait de sa retraite politique pour tendre les bras à tous les acteurs de la crise sécuritaire et politique ?
Et si l’ancien prêtre de Saint-Jean Bosco utilisait son charisme pour s’ adresser aux groupes armés du pays afin de pacifier le pays et faciliter le retour des déplacés dans leurs quartiers
Et s’il devenait l’artisan d’une réconciliation nationale, pour rallumer la flamme de l’espoir, de la paix et de la fraternité, afin de construire ensemble un autre Haïti ?
Certes, cette idée peut déranger certains acteurs du paysage politique actuel. Pourtant, aucun sacrifice n’est trop grand pour ramener la paix et rallumer la flamme de l’espoir dans ce pays tant meurtri. Pour le Dr Aristide, comme pour d’autres figures influentes, le moment est venu, plus que jamais, de placer l’intérêt d’Haïti au-dessus des ambitions personnelles.
Samson Y. Rock