Le Premier ministre Jean-Henry Céant a annoncé sur Twitter que le Gouvernement a porté plainte ce lundi 4 février 2019, par devant le Parquet de Port-au-Prince.
Alors que les bourreaux ne sont pas clairement identifiés et que l’instance judiciaire compétante en l’espèce porte encore à confusion, le Premier ministre de son côté prétend pouvoir porter plainte !
Mais contre qui a-t-il porté cette plainte ? Qui sont ses accusés ?
Selon Jean-Henry Céant, « La Cour des Comptes a donné des indications claires sur l’utilisation de ces fonds ». Il a aussi déclaré que l’État est la première victime dans cette affaire et a indiqué que l’État haïtien sera toujours aux cotés de ceux qui réclament des éclaircissements sur l’utilisation des fonds Petro Caribe.
Mais à qui ou à quoi le Premier ministre fait-il référence quand il évoque l’État dans sa déclaration, car si on fait allusion à l’État en tant que structure administrative, la gestion du fonds PetroCaribe a été aussi confiée à l’État ?
Cette déclaration du Premier ministre revêt plutôt un caractère politique. Or, l’orientation du dossier PetroCaribe en ce moment est d’ordre juridique. Et étant juridique il devient un impératif de respecter les procédures prescrites par la loi.
Il est de force de constater qu’il y a une certaine précipitation en ce début d’année sur la conduite de l’affaire PetroCaribe. On dirait que le Président et le Premier ministre veulent plutôt se débarrasser du dossier au lieu de le traiter selon les prescrits de la loi. Peut-être cherchent-ils à protéger quelqu’un ou à sauver leur peau ?
Si tout est si clair pour le Notaire désormais Premier ministre, pour certains juristes et hommes de loi haïtiens avisés, beaucoup de confusions planent encore sur la procédure de saisine et de l’instance compétante.
Pour mieux comprendre les irrégularités et défauts de procédure liés à cette démarche, considérons les éléments suivants :
Le rapport de la la Cour Supérieure des Comptes déposé au Sénat de la République fait appel à la notion de « droit d’enquête parlementaire » qui est une prérogative reconnue au Parlement et garanti par la Constitution haïtienne en vigueur et les règlements intérieurs du Sénat et de la Chambre des députés.
Le droit d’enquête parlementaire est traité dans le règlement intérieur de la Chambre des députés en ses articles 207 à 214. Et plus particulièrement, l’article 211 qui se lit comme suit : « Le rapport établi par la commission d’enquête est remis au président de la Chambre des députés qui le transmet, au besoin, au président de la République. Le Premier ministre est informé de cette transmission ».
Ceci sous-entend déjà que le Premier ministre est très mal placé pour prendre l’initiative de porter plainte.
Ensuite, en matière droit d’enquête parlementaire au niveau du Sénat, l’article 220 du règlement intérieur du Sénat stipule qu’un rapport ainsi qu’une résolution doivent être transférés aux autorités compétentes pour les suivis nécessaires. Mais il revient aussi de déterminer l’autorité compétente en la matière.
Pour pallier à cette problématique, considérons l’article 200 de la Constitution en vigueur qui se lit : « La Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif est chargée du contrôle administratif et juridictionnel des recettes et des dépenses de l’État, de la vérification de la comptabilité des entreprises de l’Etat ainsi que de celles des collectivités territoriales ». Et l’article 200.4 stipule « Cour a le droit de réaliser les audits dans toutes administrations publiques ».
Pour aller plus loin, considérons le décret du 23 novembre 2005 établissant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif. En ses articles 18 et 19 est précis, lorsque la CSC/CA effectue un audit ayant rapport à des hauts fonctionnaires, deux alternatives sont possibles :
- La Cour peut adopter un « arrêt de quitus ou de décharge » si elle juge que la gestion était bonne (Art. 18).
- Si la gestion s’avère inacceptable sur la base de malversations, de détournements, de vols ou de tout actes préjudiciables au Trésor public, la Cour adopte alors un » arrêt de débet » (Art. 19).
Il faut préciser qu’aux articles 20.1 et 20.2, il est notifié d’une part, si l’arrêté de débet concerne un ou plusieurs membres du Cabinet ministériel, la Cour doit alerter le Parlement, la Présidence, le Premier ministre ainsi que le Ministre des finances ; d’autre part, si l’arrêt de débet concerne des comptables publics de droit ou de fait, les documents ou pièces justificatifs y relatifs doivent être communiqués, sans délai, au Commissaire du Gouvernement du Tribunal Civil compétent et/ou au juge d’instruction de la Juridiction répressive, pour les suites nécessaires.
Vue la nature du dossier, le Tribunal civil est-elle la juridiction compétante ?
De plus, la question relative à la gestion du fonds PetroCaribe ne concerne pas uniquement des employés et des fonctionnaires de l’État, mais aussi des individus et institutions appartenant au secteur privé et au secteur des affaires. Alors comment les inculper eux aussi s’il y en a qui sont fautifs ?
Si autant d’éléments ne sont pas clairs, alors comment peut-on prétendre aboutir à un procès répondant aux normes juridiques, si toutefois il devrait en avoir un ?
L’exercice de la transparence ne peut pas s’effectuer dans l’ombre. Il faut que tout soit clair et se joue carte sur table à la vue et à la compréhension de tous. Pourtant jusqu’à date les manipulations politiques continuent à créer des divertions sur cette affaire.
Le Médiateur