Pendant plusieurs années, la gourde a connu une stabilité relative grâce à des réformes entreprises par l’ancien gouverneur Jean Baden Dubois, visant à contrôler le marché des changes et à limiter les abus des grands acteurs financiers. Mais aujourd’hui, une nouvelle dynamique inquiétante s’installe : la spéculation. La Banque de la République d’Haïti (BRH), ayant depuis 2023, comme gouverneur Ronald Gabriel, au lieu de protéger la monnaie nationale, semble complices d’un système où la spéculation s’impose en maître, au détriment du peuple haïtien.
Un marché des devises manipulé
Alors que les règles précédemment mises en place cherchaient à garantir un accès équitable au dollar, le marché des changes est désormais entre les mains d’un petit groupe d’affairistes dont des banquiers, qui imposent leurs propres lois.
Les grandes banques limitent volontairement les retraits en dollars, parfois refusant de donner plus de 100 dollars US aux clients, même si leurs comptes sont approvisionnés.
Les cambistes, souvent liés aux banques, revendent les dollars à des prix nettement plus élevés, créant une rareté artificielle pour faire grimper les taux.
Les maisons de transferts imposent leurs propres taux, au lieu d’appliquer un taux officiel et juste pour les bénéficiaires des transferts internationaux.
Certaines entreprises et fournisseurs exigent des paiements en dollars, appliquant leurs propres taux de conversion, ce qui contribue à renforcer la demande en devises et à affaiblir la gourde.
Face à ces dérives, la BRH, qui devrait jouer un rôle de régulateur impartial, semble fermer les yeux.
Le scandale du logement en dollars
Un autre phénomène inquiétant se développe à Delmas, Pétion-Ville et d’autres communes : de nombreuses maisons et appartements se louent exclusivement en dollars, avec des propriétaires imposant les taux du marché informel. Pourtant, la majorité de la population est payée en gourdes, ce qui aggrave encore plus la précarité des locataires.
Dans une interview exclusive accordée à notre rédaction, l’ancien gouverneur de la BRH, Jean Baden Dubois, avait révélé avoir demandé au pouvoir exécutif d’alors de rendre obligatoire l’affichage et le paiement des transactions en gourdes, afin de protéger la population contre la dollarisation anarchique du marché. Mais ces recommandations ont été ignorées, laissant le champ libre aux spéculateurs immobiliers, qui continuent à exploiter une population déjà accablée par la crise économique.
Une passivité suspecte de la BRH
Si la banque centrale ne réagit pas, c’est soit par incompétence, soit par complicité. Comment expliquer que :
Les banques puissent accumuler du dollar en limitant les retraits ?
Les cambistes puissent vendre le dollar bien au-dessus du taux officiel sans aucune sanction ?
Les maisons de transferts puissent imposer leurs propres taux de conversion sans régulation ?
Pourquoi la BRH ne prend-elle aucune mesure pour réguler ces pratiques abusives ?
Quelle est la véritable raison de cette inaction ?
Ces pratiques ne sont pas de simples erreurs. Elles font partie d’un système bien organisé, où ceux qui contrôlent la monnaie s’enrichissent pendant que la population s’appauvrit.
Une dévaluation programmée ?
La rareté du dollar ne semble pas être une conséquence naturelle des lois du marché, mais une stratégie orchestrée par les puissants. En limitant l’accès au dollar et en jouant sur la rareté, ils augmentent leurs profits tout en laissant le peuple se débrouiller avec une monnaie en chute libre.
Si cette situation perdure, elle risque d’entraîner une explosion sociale et une détérioration encore plus dramatique du niveau de vie des Haïtiens.
Cette situation pousse à poser une question fondamentale : et si la BRH ne défendait plus les intérêts de la nation, mais ceux d’une élite économique avide de profits ?
Le CPT et le gouvernement doivent agir immédiatement
Face à ces dérives, il est urgent que le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et le gouvernement d’Alix Didier Fils-Aimé interviennent pour mettre fin à ces abus. Le gouverneur de la BRH ne peut plus se permettre de rester siencieux pendant que les banques, les maisons de transfert et les spéculateurs immobiliers étranglent financièrement la population.
Le CPT et le gouvernement doivent :
Forcer les banques à libérer les fonds en dollars pour leurs clients sans restrictions abusives.
Encadrer strictement le marché informel des devises et sanctionner les spéculateurs.
Obliger toutes les transactions commerciales et locatives à être libellées en gourdes, comme recommandé par l’ancienne administration de la BRH.
Rétablir des mesures de contrôle strictes sur les maisons de transfert.
Si rien n’est fait, Haïti s’enfoncera encore plus dans une crise économique où seuls les affairistes et les banques tireront profit de la misère générale. La BRH a pour mission de protéger la monnaie et de stabiliser l’économie, et non de se faire complice des spéculateurs.
Il est temps d’exiger des comptes et d’arrêter cette dérive avant qu’il ne soit trop tard.
Jean-Jude Mondesir