J’avoue que je ne pouvais pas en croire mes oreilles quand j’ai entendu la professeure Mirlande Manigat, constitutionnaliste de son état, parler de Jocelerme Privert comme président provisoire constitutionnel et du scrutin présidentiel de novembre 2016 comme la continuation du processus électoral enclenché à la fin de 2015. Donc selon Mme Manigat, il ne s’agissait pas d’un nouveau scrutin présidentiel.
Venant de Mme Manigat, cette insinuation est on ne peut plus scandeuleuse. Franchement, je me suis demandé quelle pouvait être la motivation derrière ce positionnement qui ne peut que contribuer à détruire sa bonne réputation, le crédit intellectuel et de probité que lui a toujours accordé la société, en tant que détentrice de riches compétences académiques.
C’est la première fois que j’ai vu Mme Manigat – généralement très élégante, objective, honnête et convaincante – se fourvoyer et s’emmêler les pieds dans un pétrin constitutionnel inextricable et dans une logique argumentative truffée d’incohérences, de mécompréhensions et de mésinterprétations que je présume voulues.
On sait que le mandat du président Jovenel Moise prend fin le 7 fev. 2022. Cependant ce mandat arrive à terme le 7 fév. 2021, selon Mme Manigat.
1) Mme Manigat a péremptoirement déclaré sur Radio Caraibes lundi matin qu’il ne s’agissait pas d’un nouveau scrutin présidentiel, et que les autorités provisoires ne faisaient que poursuivre le scrutin débuté en 2015. C’est archifaux!
Je vous fais grâce d’un ensemble de détails que j’aurais pu fournir ici, mais que j’ai déjà énuméré dans une précédente analyse publiée récemment. Mais on dira qu’en plus d’avoir mis en place un tout nouveau Conseil électoral provisoire (CEP), de nouvelles inscriptions (confirmation de candidatures) ont été exigées, et après avoir annulé le scrutin présidentiel de 2015, le gouvernement Privert a appelé le peuple en ces comices dans un nouveau scrutin présidentiel à 2 tours. Un 1er tour organisé le 20 novembre 2016 et un second était prévu pour le 8 janvier 2017. Entretemps, les résultats définitifs, publiés le 3 janvier 2017, ont consacré l’élection dès le 1er tour du président Jovenel Moise.
Comment une constitutionaliste comme Mme Manigat peut-elle catégoriquement nier qu’il y ait eu un nouveau scrutin présidentiel? C’est lamentable!
2) Mme Manigat a expliqué que Jocelerme Privert était un président constitutionnel, élu selon l’article 149 de la constitution en vigueur. Ceci est totalement faux.
Ledit article stipule : ‘‘En cas de vacance de la présidence de la République soit par démission, destitution, décès ou en cas d’incapacité physique ou mentale dument constatée, le Conseil des ministres, sous la présidence du Premier ministre, exerce le Pouvoir exécutif jusqu’à l’élection d’un autre président.’’
‘‘Dans ce cas, le scrutin pour l’élection du nouveau président pour le temps qui reste à courir a lieu soixante (60) jours au moins et cent vingt (120) jours au plus après l’ouverture de la vacance, conformément à la constitution et à la loi électorale.’’
Toujours selon l’article 149 de la loi mère, ‘‘ Dans le cas où la vacance se produit à partir de la 4e année du mandat présidentiel, l’Assemblée nationale se réunit d’office dans les soixante (60) jours qui suivent la vacance pour élire un nouveau président provisoire de la République pour le temps qui reste à courir.’’
De toute évidence, l’article que nous venons de lire ensemble ne s’applique en rien au cas qui nous préoccupe. L’Assemblée nationale peut élire un président provisoire si et seulement si une vacance est constatée à partir de la 4e année du mandat présidentiel. Or, on s’est entendu sur le fait que le mandat du président Joseph Michel Martelly avait bel et bien pris fin, le 7 février 2016. Et le délai constitutionnel de 60 jours au moins et 120 jours au plus… pour organiser un nouveau scrutin en cas de vacance, ne s’applique pas au président provisoire. Il ne peut concerner que le Conseil des ministres, dans l’éventualité d’une vacance au cours des 3 premières années d’un mandat présidentiel.
Un président provisoire, bien entendu constitutionnel, est toujours appelé à organiser un nouveau scrutin dans le temps constitutionnel, juste à temps pour que le président nouvellement élu puisse entrer en fonction le 7 février suivant son élection pour un nouveau mandat de cinq ans. Et si pour une raison ou une autre le président provisoire ne parvient pas à organiser ce scrutin dans le temps fixé par la constitution, il devra partir puisque son mandat, qui ne peut aller au-delà du quinquennat du président qui était censé être au pouvoir, aura pris fin. C’est donc le Conseil des ministres, sous la présidence du Premier ministre, qui devra s’en charger.
Mme Manigat doit se rendre à l’évidence que Jocelerme Privert a été et n’importe quelle autre personnalité, élue par l’Assemblée nationale dans les mêmes conditions, aurait été un président provisoire de facto. Il n’y a pas de débat possible sur cette question-là.
Cependant même de facto, Privert a fait son temps et le temps passé au pouvoir ainsi que les actes matériels, administratifs et juridiques, posés au cours de son passage, sont loin d’être fictifs. Il est réputé avoir complété un mandat présidentiel de 5 ans (Art. 149-1), il a passé l’écharpe au président Jovenel Moise et il a été le 57e président d’Haiti, Martelly le 56e et Jovenel Moise est actuellement le 58e Chef d’État d’Haïti. Par quel tour de magie Mme Manigat prétend-elle biffer le temps de Privert pour l’attribuer à Jovenel Moise?
Et si on devait parler de l’année de l’élection de Jovenel Moise dans une logique distordue, entretenue par certains, de l’art. 134-2 de la constitution, ça serait quand même 2017, puisque c’est la proclamation des résultats définitifs qui consacre l’élection d’un président. Les professeurs et juristes, les docteurs Ricardo Augustin, Fritz Dorviliers et plusieurs autres personnalités avisées adhèrent à cette thèse.
En fin de compte, on comprend que Mme Manigat a tout compris, mais certains diront qu’elle a décidé de sacrifier l’académique qui est en elle, faute de pouvoir se défaire de sa casaque politique. En tout cas, elle n’a jamais été aussi méconnaissable et pitoyable dans ses argumentations.
Guyler C. Delva, ancien ministre de la Communication