Crédit : Journal La Libre de Belgique
Contribution externe
Publié le 27-10-20 à 14h27 – Mis à jour le 27-10-20
Haïti traverse une crise profonde dont les causes sont multiples, et qui appelle une action politique ambitieuse. Quel que soit le choix retenu, celle-ci ne pourra être mise en œuvre avec efficacité sans une restauration préalable de l’espace démocratique. La Constitution haïtienne actuelle offre-t-elle les conditions d’une telle refondation ? Rien n’est moins sûr.
Pour sortir Haïti de l’impasse, l’espace démocratique doit être restauré© AFP
Une opinion de Pierre Égéa, professeur de droit public à l’université Toulouse I Capitole.
Le régime mis en place par la Constitution de 1987 est le résultat d’un compromis entre un régime présidentiel avec élection du chef de l’État au suffrage universel direct et un régime parlementaire fondé sur la responsabilité du gouvernement devant le Parlement. L’équilibre recherché par cette Constitution repose manifestement sur le souci d’endiguer tout risque d’appropriation du pouvoir par le chef de l’exécutif. C’est la raison pour laquelle le Président, pourtant élu par le Peuple, dispose des prérogatives essentiellement symboliques d’un chef d’État d’une démocratie parlementaire, dont le véritable moteur demeure le Premier ministre, chef du gouvernement, lequel « conduit la politique de la Nation » (art. 156 de la Constitution).
La dyarchie au sein de l’exécutif, dont l’un des modèles est celui offert par la Ve République en France, est le fruit d’une construction historique qui a largement perdu en pertinence. Elle est une source de complexification inutile au plus haut niveau de l’État sans autre justification que celle des mécanismes propres au parlementarisme. En France, cet équilibre complexe est rendu possible par le bipartisme comme socle de la vie politique, qui permet de dégager une majorité stable. En cas de multipartisme, le jeu parlementaire conduit à une cohabitation permanente et paralysante.
De même, la mise en œuvre dans la Constitution d’un bicamérisme égalitaire- Chambre des députés et Sénat ne se justifie guère autrement que par un souci d’équilibre au sein du pouvoir législatif, largement illusoire et terriblement coûteux en termes d’efficacité législative. Le corps législatif doit pouvoir légiférer efficacement, ce qui requiert une simplification des procédures et un recentrage de l’intervention du législateur sur les domaines les plus importants de la vie de la Cité. Dans cette perspective, la seconde chambre ne devrait pas disposer d’un droit de véto. Quant au troisième pouvoir incarné par l’institution judiciaire, il devrait pouvoir compter sur une véritable Cour constitutionnelle, au lieu d’un simple Conseil créé en 2011 mais qui n’a jamais été officiellement installé.
Simplifier les institutions
La restauration de la démocratie passe donc aujourd’hui par un processus de simplification des institutions, gage d’efficacité dans le respect de l’État de droit. Le modèle présidentiel, de séparation accentuée des pouvoirs, constitue l’alternative la plus sérieuse à un parlementarisme largement dysfonctionnel et foncièrement inadapté. La mise en place d’un tel régime donnerait au président de la République les moyens de conduire la politique de la Nation sous le contrôle efficace d’un corps législatif rénové et d’une Cour constitutionnelle veillant effectivement au respect de l’État de droit.
L’appel au peuple constituant
Cette nouvelle donne constitutionnelle implique de modifier intégralement la Constitution de 1987, ce qui ne peut se traduire par de simples amendements. La procédure prévue au Titre XIII de la Constitution (déclaration devant réunir l’adhésion des deux chambres à la majorité des deux tiers, adoption à la même majorité) justifiée par la volonté d’éviter tout risque de transformation abusive conduit de facto à une sanctuarisation du texte constitutionnel et à une paralysie du système institutionnel. Dans cette situation, le seul suffrage susceptible de dénouer la crise est celui du Peuple, détenteur du pouvoir constituant. La mise en place d’un nouveau régime fondé sur des principes d’efficacité de l’action publique dans le respect de l’État de droit passe donc aujourd’hui par l’appel au peuple constituant. Les exemples historiques ne manquent pas d’un tel recours salutaire, à l’instar de la mise en place du régime de la Ve République en France qui s’était affranchie des règles complexes imposées par la Constitution de la IVe République. Ni la démocratie, ni la France n’en ont souffert. Haïti se doit d’en profiter sans écouter les appels à une transition qui, hors des règles constitutionnelles et sans faire appel à la souveraineté du peuple haïtien, ne ferait que redonner un nouveau souffle à la spirale d’instabilité qui dure depuis 33 ans.
Lalibre.be