Depuis plus de 12 mois, la République d’Haïti fait face à une crise croissante. Les manifestations se multiplient et le dialogue entre l’opposition émiettée et le pouvoir à genou devient l’évènement le plus impossible. Haïti est aux abords d’une explosion sociale.
Pendant que nous nous appliquons à nous battre entre nous et à détruire le pays, la Communauté internationale de son côté nous observe et planifie pour nous. Mais, en revanche, quels sont les motivations, la teneur et les aboutissants de ces planifications ?
« L’histoire est têtue, les faits sont là« , dixit Paul Kagame.
Si on repasse l’histoire d’Haïti, en énumérant les différents faits d’ingérence et les diverses missions de maintien de la paix onusienne que nous avons subis, il est évident que les interventions de la Communauté internationale ou d’un État quelconque, peu importe son degré de rapprochement avec Haïti, ne peuvent résoudre le problème des haïtiens.
D’ailleurs, comme l’avait dit Charles de Gaulle : « Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. »
Ceci dit, nombreux sont les États qui se prétendent amis d’Haïti, mais qui au fond sont déjà aux aguets pour répéter l’exercice de 1915 lors de l’occupation américaine, ou encore celle de 1994 lors du retour de Jean Bertrand Aristide, et pourquoi pas la plus récente avec la Mission des Nations-Unies pour la Stabilité en Haïti (MINUSTHA) en 2004.
Ceci dit, toutes les conditions sont déjà réunies pour une intervention étrangère en Haïti. Pour asseoir cette analyse, plusieurs indices nous servent d’appui :
1- L’intervention récente du Canada, membre du Core Group, sur la crise haïtienne
Le vendredi 7 juin dernier, au siège des Nations-Unies, l’Ambassadeur canadien à l’ONU et Président d’un Comité de conseil sur Haïti, Marc-André Blanchard, a opté pour la création d’une mission onusienne politique robuste en Haïti pour prendre la relève de la MINUJUSTH dont le mandat doit prendre fin le 15 octobre prochain. Il a suggéré que la feuille de route de cette « mission robuste » serait d’apporter une expertise à l’État haïtien en terme d’État de droit, de lutte contre les inégalités mais aussi contre la violence et la criminalité.
Soulignons que cette proposition a déjà obtenu le soutien du Secrétaire Général des Nations-Unies, Monsieur Antonio Guterres, qui au mois de mars, avait recommandé au Conseil de sécurité de créer une mission politique spéciale afin de maintenir la paix et la stabilité en Haïti.
Lire aussi cet article : Haïti : Le Canada opte pour une mission politique robuste après la MINUJUSTH https://lemediateurhaiti.com/haiti-le-canada-opte-pour-une-mission-politique-robuste-apres-la-minujusth/
2- L’échec en juin dernier d’une mission de l’OEA en Haïti qualifiée de haut niveau
Le mercredi 19 juin 2019, une délégation dite de haut niveau de l’Organisation des États Américains (OEA) a foulé le sol d’Haïti afin de trouver des solutions pacifiques face à cette crise grandissante et faciliter le dialogue entre le pouvoir et les différentes branches de l’opposition.
Pourtant, cette délégation composée de l’Ambassadeur des États-Unis d’Amérique auprès de l’OEA, Monsieur Carlos Trujillo, accompagné du Secrétaire Général de l’OEA, Luis Almagro a complètement échoué parce qu’elle n’est pas parvenue à trouver cette solution pacifique.
Et de fait, lorsque l’arme de la dialectique ne parvient pas à résoudre un problème, on finit toujours par subir le sort de la dialectique des armes. Alors, puisqu’aucun dialogue n’est possible entre le Gouvernement et l’opposition ; puisque qu’aucun ne veut céder aux propositions de l’autre ; puisque les deux parties ne comprennent pas qu’ils sont chacun un pilier de l’équilibre du pays, et bien, comme à l’accoutumé, cette crise aboutira à une explosion sociale qui va causer à nouveau l’effondrement de l’État et la perte de notre prérogative d’auto-détermination. Dans ce cas, une intervention étrangère sera l’alternative la plus probable.
3- La multiplication des opposants de Jovenel Moïse et la montée en puissance de l’opposition
Il est à remarquer que ce n’est pas l’opposition elle-même qui est si puissante dans le pays, mais ce sont de préférence les erreurs de l’équipe gouvernementale qui la renforcent, car il est évident que Jovenel Moïse est en train de tout faire au Palais National, sauf gouverner et diriger un pays.
La politique n’est pas une science occulte et encore moins de la magie. Elle est une science sociale et humaine dont les postulats et les principes sont préalablement établis. Alors, Jovenel Moïse n’avait rien à inventer, sinon faire tourner la roue. Mais aussi, sa surprise fut aussi grande en comprenant que pour diriger Haïti, il faut être doté de capacités surhumaines parce que le problème de ce pays est complexe.
Alors ayant omis préalablement ces paramètres ; n’ ayant pas eu au paravent la triture de la gestion de la chose publique ; n’ayant pas eu le temps d’expérimenter les contours ainsi que les profondeurs des pratiques politiques haïtiennes ; n’ayant pas eu une réputation antérieurement construite dans la sphère politique ; pour ne pas avoir été un militant politique reconnu ; n’ayant construit aucune équipe politique partageant sa vision et ses stratégies et n’ayant été en contact avec la population que durant le court mandat de Michel Martelly, Jovenel Moïse est aujourd’hui noyé dans un océan d’amateurisme et d’incertitude. On peut voir à l’œil nu que lePrésident ne sait pas ce qu’il fait, ni ce qu’il doit faire, ni comment le faire, ni quand le faire.
Bien que l’opposition politique soit elle-même faible parce qu’elle est émiettée ; que chaque leader branle sa propre vision, ses propres objectifs et ses propres intérêts et qu’il n’existe aucune cohérence, ni aucune cohésion entre les acteurs se réclamant de l’opposition, pourtant, chaque erreur de Jovenel Moïse contribue à renforcer cette dite opposition.
Pendant que les erreurs de Jovenel Moïse l’affaiblissent considérablement, il faut aussi considérer deux autres facteurs. D’une part, beaucoup des grosses légumes qui supportaient le pouvoir ont fait volte-face, parce qu’ils n’y voient plus leurs intérêts, et d’autre part, la frange de la population qui supportait Jovenel Moïse est si déçue qu’elle n’a pas d’autre échappatoire que le silence. Ainsi, la petite minorité qui soutient encore le Président diminue au jour le jour.
Face à un tel tableau, la chute de Jovenel Moïse est plus qu’une probabilité, mais une éventualité pour ne pas dire une évidence ou une certitude.
4- Le vide constitutionnnel que la déchéance de Jovenel Moïse va provoquer
Pour mieux comprendre les enjeux de cette problématique, la question suivante serait la bienvenue : « Au regard de la loi, qui est habilité à remplacer le Président de la République au cas où, pour une raison ou une autre, ce dernier serait dans l’incapacité d’exercer le pouvoir ? »
Au regard de la Constitution haïtienne en vigueur, aux articles 149 et suivants, il est prévue la procédure à suivre en cas de vacance présidentielle. Il est écrit noir sur blanc qu’en dessous de la 4ème année du mandat du Président, si ce dernier est destitué ou démissionne, c’est le Premier ministre qui est habilité à le remplacer. Or, depuis le 17 mars 2019, suite au renvoi de Jean-Henry Céant à la tête de la Primature, le pays fonctionne sans Premier ministre. Plusieurs séances de dilatoire se sont succédées au Parlement soit quand il s’agissait de l’énoncé de la politique générale de Jean Michel Lapin ou encore dans le cas de Fritz William Michel plus récemment.
Alors, si on actualise la précédente interrogation en se demandant : Aujourd’hui, si Jovenel Moïse démissionne, qui va le succéder au regard la Constitution ? La réponse est évidente : Personne !
Aucune provision légale n’est disponible face au chaos vers lequel on propulse le pays. De ce fait, on va se plonger à nouveau dans l’improvisation, or rien de politique et de durable ne peut être improvisé. Toute action politique doit être rationnelle et prospective.
Ainsi, face à ce rapport de causalité, autant que Jovenel Moïse a échoué parce qu’il émane d’une structure qui n’avait pas un plan de société en perspective, autant ceux qui veulent prendre sa place vont échouer aussi, parce qu’il disent Aba Jovenel Moïse, Jovenel Moïse doit partir…, alors qu’au fond, la majeure partie d’entre eux n’a aucun projet de société non plus dans leurs archives.
Alors que voulez-vous récolter de la médiocrité et l’ignorance, sinon de la médiocrité et l’échec ?
Rappelons-nous que les mêmes causes produisent les mêmes effets dans les mêmes circonstances.
En déduction, face à ce vide constitutionnel et institutionnel auquel est confronté le pays, notre droit d’auto-determination en tant qu’État souverain sera à nouveau hypothéqué. À ce moment, encore une fois, la communauté internationale sera habilitée à brandir le chapitre 7 de la Charte des Nations-Unies pour venir rétablir la paix en Haïti.
Mais là où le bât blesse, c’est que lorsque nous y serons à cette étape de la crise, des acteurs du Gouvernement en place ainsi que des acteurs de cette dite opposition s’assieront gentiment face à l’étranger pour écrire les dictées de bonne gouvernance.
5- Les progrès de la République Dominicaine et ses mesures vis-à-vis d’Haïti
Dans un document de 70 pages intutilé « Essai sur une union économique et monétaire entre la République Dominicaine et Haïti » paru en 2010, l’économiste Emmanuel Pinto Moreira a présenté à la Banque Mondiale, une proposition d’union monétaire et économique entre la République d’Haïti et la République Dominicaine.
Selon le jugement de l’économiste, cette union monétaire serait profitable aux deux États partageant l’Île dans le sens qu’elle affecterait les coûts des transactions et renforcerait les échanges commerciaux, tout en diminuant l’incertitude liée aux taux de change.
En dépit des avantages qu’une telle proposition présenterait, on tient toujours à se demander : Quels sont les vrais intérêts de la République Dominicaine dans une telle union ?
En revanche, quel est le plus grand moyen de préparer une invasion sinon qu’en mettant le pays cible à genou économiquement ? Et nous sommes déjà à cette phase.
Il est évident que les deux pays partagent un long passé, où des situations conflictuelles y ont toujours pris naissance. Il existe une haine et une vengeance historique entre les deux peuples. Bien que les faits historiques soient fort souvent mal interprétés, mais ceci n’empêche que la velléité hégémonique de la République Dominicaine vis-à-vis de la République d’Haïti est évidente.
Aussi, puisque la République Dominicaine se repositionne-t-elle sur l’échiquier international pour avoir présidé, au début de l’année 2019, le Conseil de Sécurité des Nations-Unies ; puisqu’elle est dotée d’une armée conventionnelle pouvant répondre à cette mission et qu’elle jouit d’une stabilité politique suffisante et d’un rayonnement économique qui dépasse de loin Haïti, la République Dominicaine pourrait être en tête de liste parmi les pays exprimant leur volonté de mener une mission de maintien de la paix pour une énième fois sur la terre de Dessalines.
Mais toujours est-il, ce qui est le plus blessant et plus écœurant dans ce tableau, c’est que lorsque nous parviendrons à cette étape, et les acteurs du Gouvernement en place, et ceux de l’opposition s’assieront gentiment face au voisin pour écrire les dictées de bonne gouvernance !
Ainsi, en contrebalançant ces cinq paramètres, on parvient à la déduction que de très mauvais présages planent sur la République d’Haïti, car à l’heure où nous avons mis le pays à genou par nos luttes intestines, la Communauté internationale s’applique déjà à nous inculquer la nouvelle leçon d’humiliation.
Depuis 1806 suite à l’assassinat de l’Empereur Jean Jacques Dessalines, nous continuons à prouver au monde entier que nous ne sommes pas encore prêts pour assumer notre auto-détermination et la situation ne fait qu’empirer parce que nous refusons délibérément de prendre conscience que nous sommes les seuls qui peuvent libérer Haïti du joug de l’instabilité politique.
« Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre », dixit Winston Churchill.
Stevens Grégor Gabriel, dit L’Archange