La rubrique « Derrière le chiffre » des Décodeurs étudie des statistiques et des méthodologies apparaissant dans l’actualité.
Existe-t-il en France un gisement d’emplois non pourvus, trop délaissés par les chômeurs ? C’est ce qu’a laissé entendre Emmanuel Macron, samedi 15 septembre, lors d’un échange avec un jeune demandeur d’emploi. « Si vous êtes prêt et motivé, dans l’hôtellerie-restauration [ou] dans le bâtiment il n’y a pas un endroit où je vais où ils ne me disent pas qu’ils cherchent des gens », a ainsi rétorqué le chef de l’Etat à cet horticulteur de formation qui ne trouve pas d’emploi.
Le délégué général de La République en marche (LRM) Christophe Castaner a justifié ces propos dimanche 16 septembre sur RTL, évoquant le chiffre de « 300 000 » emplois vacants en France. Un raisonnement qui appelle plusieurs précisions.
Ce qu’il a dit
Interrogé sur l’échange entre Emmanuel Macron et le jeune horticulteur sans emploi, Christophe Castaner a défendu le chef de l’Etat, en évoquant l’existence de postes vacants :
« Est-ce que ce que dit le président de la République est faux ? Est-ce que si vous allez dans le quartier de Montparnasse vous n’allez pas trouver des besoins d’emplois ? On parle de 300 000, ce chiffre est contesté, il est peut-être contestable, mais 300 000 emplois aujourd’hui ouverts et non pourvus. »
POURQUOI C’EST PLUS COMPLIQUÉ
1. Un chiffre tiré d’un rapport de Pôle emploi
Le chiffre de « 300 000 » emplois évoqué par Christophe Castaner existe bel et bien. Il est issu d’une enquête de Pôle emploi publiée en décembre 2017. Selon cette dernière, 2,9 millions des 3,2 millions d’offres d’emplois « déposées à Pôle emploi sur une année » ont été pourvues.
Restent donc environ 300 000 offres qui n’ont pas été pourvues. Il ne s’agit toutefois pas forcément de recrutements qui ont échoué faute de candidatures. Dans cet ensemble, on trouve 97 000 recrutements annulés parce que le besoin d’embauche avait disparu (par exemple lorsque l’employeur n’a plus le budget) et 53 000 pour lesquels le recrutement se poursuivait au moment de l’étude. Restent alors 150 000 offres environ qui ont réellement « conduit à un abandon de recrutement faute de candidats », soit 4,7 % du total.
2. Moins d’1 % de ces offres n’attirent réellement aucun candidat
Attention cependant : dans l’écrasante majorité (87 %) de ces 150 000 cas, l’employeur a bien reçu des candidatures avant de renoncer à recruter. Il les aura simplement écartées, ne les jugeant pas satisfaisantes. Les postulants existent donc bel et bien, mais ne sont pas très nombreux – dans « la moitié des cas, l’offre a recueilli entre une et cinq candidatures », précise Pôle emploi.
Suivant ces statistiques, les offres d’emplois qui n’ont fait l’objet d’aucune candidature sont donc rarissimes : 19 500 cas, soit 0,6 % du total.
Comme Christophe Castaner l’a lui-même reconnu, cette enquête de Pôle emploi ne suffit pas à plier le débat. Bien qu’il s’agisse, en France, de l’étude la plus large sur le sujet, il n’est pas acquis qu’elle donne une image exacte du marché du travail Français : elle est loin de compiler la totalité des offres d’emploi en France (3, 2 millions d’offres Pôle emploi pour un total de 42,3 millions d’embauches au total en 2016).
D’ailleurs, l’organisme européen de statistiques publiques Eurostat n’intègre pas de chiffres français aux comparatifs européens sur la question, estimant qu’il n’existe pas de données suffisamment complètes sur la question.
3. Ces chiffres montrent aussi qu’il n’est pas si facile de trouver un emploi
Derrière le flou des chiffres, ces données montrent aussi que les recruteurs ont des attentes spécifiques, quand bien même les candidats se font rares – puisque les postulants existent dans 87 % des cas.
Pour expliquer l’absence de recrutement, ceux qui embauchent avancent le plus souvent un manque d’expérience (70 %), de motivation (69 %) ou de compétence (67 %) des candidats qui se sont manifestés, selon l’enquête de Pôle emploi. Il ne suffit donc pas forcément de « traverser la rue » et de postuler pour être embauché, comme l’a affirmé Emmanuel Macron.
Les secteurs sous tension ne sont pas toujours des plus attractifs. Une enquête du journal spécialisé L’Hôtellerie Restauration et du cabinet CHD Expert auprès de 4 998 professionnels montrait ainsi en 2016 que les faibles salaires (64 %) et les heures supplémentaires non rémunérées (51 %) étaient cités en tête des raisons expliquant les difficultés de recrutement du secteur.
Un exemple parmi d’autres que s’il existe dans certains secteurs un fossé entre demandeurs d’emplois et recruteurs, il n’est pas forcément exclusivement le fait des premiers.