Objet: Mise au point sur la correspondance de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif
Monsieur le Premier ministre,
En date du 23 décembre, vous avez répondu avec célérité, de manière intelligente à une correspondance de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif dans laquelle, monsieur Pierre Volmar DEMESYEUX, son président en exercice a fait état du refus de certains fonctionnaires de l’administration centrale de l’ État de mettre à la disposition des commissaires mandatés par le conseil de la Cour des documents liés à l’ utilisation du fonds petro caribe par les différents gouvernements qui se sont succédé à la tête de l’ État de 2008 à 2016.
Cette démarche de la Cour pour exiger des dossiers de l’ administration un mois avant la date qui était retenue pour la remise du rapport d’ enquête sur les fonds petro caribe nous parait suspecte et plonge la république dans une nouvelle obscurité.
De machination en machination, il y a de quoi s’ inquiéter. Face à l’ obscurité, il nous faut propager un peu d’ électricité dans l’ air.
Dans ce contexte fait d’incertitude, apporter un peu d’ éclairage revient tout d’abord à placer la question sur le terrain du droit, même si dans notre société, il est presque admis que tout ce qui est « politique » est en dehors du droit et de la loi. Chez nous, on se plait à répéter, telle décision est juridique, telle autre est politique, comme si la politique est une activité illégale. C’ est carrément préoccupant. C’ est une situation à réguler et je souhaite pour le bien du pays que votre gouvernance soit encadrée par le droit et la loi.
Avant de rentrer dans les considérations juridiques, permettez moi de vous dire de manière péremptoire et catégorique que cette démarche de la Cour au près de vous, en tant que premier ministre, chef de l’ administration centrale de l’ État cache une arrière – pensée. Dans cette démarche de dernière heure, il y a un piège tendu à éviter. Il y a quelques vérités à saisir et à dévoiler. Il y a aussi des questions à se poser. Qui piège qui, et pourquoi, dans cette question d’ intérêt général, où tout le monde est légitime?
En effet, nous sommes tous légitimes à demander des comptes, à participer au débat, puisqu’il s’ agit du bien commun, le souverain bien dont l’ État assure la gestion au profit de l’ intérêt général.
Pour les fins de droit, je vais vous présenter mes points de vue.
La résolution du sénat transférant le dossier à la Cour Supérieure des Comptes était incompréhensible, dans la mesure, où cette dernière quoique indépendante se situe donc sous le contrôle du pouvoir législatif. Le Parlement n’ est pas une direction de la Cour des Comptes. Le Parlement, dans le cadre de son pouvoir de contrôle général est disposé, d’un bras technique qui est la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif. Le Parlement ne peut pas soumettre son travail à la censure des membres de cette Cour Supérieure des Comptes. Le Pouvoir Législatif est un pouvoir de l’ État. « Le pouvoir n’ a pas de supérieur et ne peut être soumis à aucune autre forme de direction, interne ou externe. Seul le pouvoir peut arrêter le pouvoir. C’ est pourquoi, en droit parlementaire, on dit: l’ enquête parlementaire suit le judiciaire. L’ enquête parlementaire est différente de l’ enquête judiciaire. L’ enquête parlementaire a ses formes, ses règles, ses principes et aussi ses limites.
En effet, la résolution du sénat transférant le dossier petro caribe à la Cour Supérieure des Comptes a été une maladresse juridique, laquelle modifie le contenu de notre droit constitutionnel, en ce qui concerne la mission de contrôle du Parlement. Delà, est né le pêché originel avec toutes les conséquences que cela entraine pour la paix et la cohésion sociale.
La Cour des Comptes elle-même, en acceptant de travailler sur le rapport d’ enquête sénatoriale sort de la mission qui lui est confiée par la Constitution et le décret de 2005 ayant force de loi.
La Cour Supérieure des Comptes ne peut se prononcer que sur les faits de détournement de fonds, et les violations des règles de passation de marchés publics, non sur les faits de corruption. De ce point de vue, le travail de la Cour des Comptes servira pas à grand chose.
L’ incompétence de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif découle d’abord du décret de 2005 sur la CSCC et ensuite de la résolution du Sénat.
L’ arrêt Duvalier évoqué par certains juristes pour justifier la Compétence de la Cour en la matière ne tient pas la route. Cet arrêt est antérieur à la loi de mars 2014 sur la Corruption et ne peut être évoqué en pareille matière. Dans notre droit national, hérité de la tradition de droit civil, il est de principe que la jurisprudence est en retrait, là où la loi est debout.
Selon l’ article 200 de la Constitution, la Cour des Comptes est une juridiction financière, administrative, automne. Elle est chargée du contrôle administratif et juridictionnel des recettes et des dépenses de l’ État. Selon la loi sur la comptabilité publique, à la fin de chaque exercice fiscal, elle dresse un rapport sur la situation financière de l’ État et des comptables de deniers publics à travers la loi de règlement. En clair, la Cour juge les comptes des comptables publics, mais elle n’ a pas de compétences pour juger les comptes personnels des ministres, encore moins des personnes privées, extérieures à l’ administration centrale de l’ État.
Le rapport annuel dressé par la Cour des Comptes sur la situation des finances publiques et des gestionnaires des deniers publics rentre dans la mission de contrôle du parlement sur l’ action gouvernementale. Ce rapport annuel accompagné de la loi de règlement est fondamental pour le contrôle qu’exerce le parlement sur les activités du gouvernement. Il indique comment le budget de l’ exercice écoulé a été exécuté par le gouvernement, puisque la décharge administrative étant annuelle. Confier un nouveau budget au gouvernement veut dire que le budget de l’ exercice précédent a été bien exécuté. Le parlement est le seul juge de l’ action gouvernementale. C’ est pourquoi, il n’ est pas lié par l’ avis favorable ou non de la Cour Supérieure des comptes et du Contentieux Administratif en ce qui concerne la question de décharge.
En principe, la question de décharge pour les anciens responsables de l’ État n’ aurait pas dû être posée. Malgré tout, elle devient une source d’ abus et de violations systématiques des droits de la personne humaine. Les principes généraux du droit à la base de notre système de droit font de l’ État le protecteur et le garant des droits des citoyens. En effet, le refus du Parlement de se prononcer sur la demande de décharge produite par les anciens responsables de l’ État est une violation de la Constitution et des Conventions internationales ratifiées par Haïti, notamment le Pacte International relatif aux droits civils et politiques qui reprend les droits consacrés par la Déclaration Universelle des droits de l’ homme.
Le Parlement n’ est pas une institution de non droit, ni au dessous de la loi. Dans un État de droit démocratique, les gouvernants ont l’ obligation de se soumettre à la loi au même titre que les citoyens. Cependant, faut – il rappeler qu’on peut avoir la décharge administrative et être poursuivi pour corruption. La corruption est une infraction pénale qui ne relève pas de la compétence de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif.
Dans le préambule de la résolution qui est la raison d’être même du texte, le sénat évoque la nécessité de combattre la corruption. La philosophie qui traverse cette résolution met la Cour des Comptes en situation d’ incompétence pour se prononcer en la matière. De plus, les personnes citées par le rapport de la Commission d’ enquête sénatoriale sont indexées pour corruption. Donc, l’objet du rapport en lui-même est un motif d’ incompétence de la Cour des comptes pour se prononcer sur les faits de corruption. Précisons toutefois que la Cour des Comptes à travers divers rapports sur la situation financière de l’ État et l’ efficacité des dépenses publiques a déjà relevé des cas de mauvaise gestion des fonds petro caribe, mais ne s’ est jamais prononcée sur la question de corruption, question d’ ailleurs qui ne relève pas de sa compétence.
La Convention des
Nations-Unies sur la Corruption dit clairement lorsque le détournement de fonds publics est fait à des fins personnelles, il prendra le caractère d’ infraction pénale.
La Corruption est une infraction pénale, et en conséquence relevant de la justice ordinaire. En la matière, c’ est la loi de 2014 sur la lutte contre la corruption qui s’ applique. Il est fondamental de prendre connaissance de l’ article 5 de cette loi exposant les actes de corruption. En effet, l’ article 19 précise les techniques d’ investigation prévues en relation avec le blanchiment des capitaux. Les techniques d’ investigation sont menées par le juge d’ instruction selon les articles 38, 39 et 40 sur le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
La Cour Supérieure des Comptes ne dispose pas de pouvoirs contraignants. Elle ne peut pas contraindre un citoyen à se présenter devant elle pour l’ interroger. Elle ne peut non plus enquêter sur les comptes personnels des citoyens, ni contraindre l’ administration à lui fournir des documents publics qu’elle détient. Cette mission, est celle du juge d’ instruction.
Du coté de la justice, la question n’ est pas claire. En effet, la corruption est un crime commis contre l’ État, non contre les personnes dans ce cas précis. En ce sens, la lutte contre la corruption doit être engagée par l’État au nom de la défense du bien commun et de l’ intérêt général. Même si la corruption est un méga crime contre le développement et la justice sociale, aucun citoyen n’ est autorisé à porter plainte, ni en son nom personnel, ni au nom au l’ État.
Cette plainte, déposée devant le juge d’ instruction par quelques citoyens, au point de vue de la doctrine civiliste du droit ne va pas sans poser quelques problèmes. Quel est donc le fondement juridique de la réparation ? Comment donc qualifier la nature du préjudice subi?
S’ agit il donc de restituer à des individus des biens de l’ État détournés par les anciens responsables de l’ État?
Selon la procédure pénale en droit continental, le juge d’ instruction est un magistrat professionnel, un juge savant qui enquête à charge et à décharge. Il intervient avant l’ éventuel procès, en vue de réunir les indices permettant de déterminer si les charges à l’ encontre des personnes poursuivies sont pertinentes et suffisantes pour que celles-ci soient jugées.
La corruption est un crime. En matière de crime, le juge d’ instruction ne peut être saisi que par une réquisition du commissaire du gouvernement. Ce mandat du commissaire est obligatoire pour que le juge puisse ouvrir son instruction. Dans notre procédure pénale, le juge d’ instruction ne peut passer outre de cette formalité légale, contrairement au juge d’ instruction dans le système pénal français.
La reconnaissance de la qualité des citoyens par le juge d’ instruction à déposer une plainte devant lui dans une affaire qui engage au premier degré la responsabilité de l’ État
justifie que le citoyen a repris ses droits aliénés dans le cadre de la démocratie représentative. En somme, c’ est toute la question de la démocratie représentative qui est remise en question. Car, dans le cadre de notre État de droit en construction, les citoyens peuvent porter plainte contre l’ État qui est au même titre que l’ individu un sujet de droit, mais en aucun cas ne peut agir au nom de l’ État.
En dépit du fait que la corruption est un crime contre la justice sociale, reste et demeure l’ État à qui incombe la responsabilité régalienne de poursuivre les personnes qui ont détourné le bien public à des fins personnelles.
L’ article 2 du décret du28 septembre 1987paru dans le moniteur No 79 du 28 septembre 1987 relatif aux structures administratives de la direction générale des impôts énumère des différentes attributions essentielles de la Direction Générale des Impôts . Parmi ses attributions, elle a l’ obligation de représenter l’ État en justice.
Monsieur le premier ministre, en mettant le focus sur la Cour Supérieure des Comptes, on fait fausse route, et on risque de s’ y perdre.
En ces temps de Noël, je prêche l’ humilité aux grands pouvoirs de l’ État. L’ humilité de reconnaitre qu’on a erré d’ un coté, comme de l’ autre. L’ humilité de tout reprendre. N’ est – il pas encore temps de revenir à la raison?
Joyeuse saison des fêtes de fin d’ année.
Salutations fraternelles et patriotiques.
Me Sonet Saint-Louis av.
Sous les bambous, grande source, La Gonave, 27 décembre 2018.
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